Rencontre sous les étoiles

Toute la semaine j’ai voulu me lever vers les 2-3h du matin pour échapper à la lueur de la Lune et me plonger dans un ciel magnifique. Mais il est des jours où l’on ne fait que ce que l’on peut, où le corps ne suit pas toujours l’esprit. La fatigue, et une bronchite, ont anéanti ma volonté.

Pourtant, lorsque la migraine était trop forte, au petit matin, généralement vers 5h, et qu’il me fallait prendre une rasade de paracétamol, je ne manquais pas de regarder ce ciel par la fenêtre de la cuisine, identifiant les constellations, et imaginant pour un instant, pour un instant seulement, qu’il me suffirait de sortir le télescope et puis de…

Jeudi, la migraine me réveillait toujours mais je sentais les forces revenir. Et puis, un peu d’air frais ne peut pas faire de mal, enfin pas plus. Je passe un pantalon, une polaire, un bonnet, et me voilà sur la terrasse, les jumelles à la main, orientation sud-ouest. Je m’assois sur l’un des fauteuils de jardin ressortis le week-end dernier, signe définitif de fonte des neiges. Le ciel est lumineux, j’aime ces réveils étoilés. La Couronne Boréale me fait un grand sourire, je le lui rends bien volontiers. La Chevelure de Bérénice ressemble à un accent circonflexe. Le Bouvier et son rubis Arcturus me fait comme toujours penser à une coiffe, un turban, plutôt qu’à un berger. Juste au-dessus, Hercule semble danser. Je rends visite au maitre des lieux, cette concentration naturelle d’énergie, ces centaines de milliers d’étoiles, un des plus vieux objets qu’il nous soit donné d’observer.

Comme je baisse les yeux pour aller saluer le Scorpion qui se lève, je sens que l’on m’observe. Droit devant moi, à quelques trente mètres, une tête se détache sur les névés qui entourent la maison. Il est 5h30. Le jour s’annonce, on commence à apercevoir le paysage, surtout en contraste avec la neige qui s’attarde. Les oreilles face à moi, le museau dans ma direction, je l’ai reconnue. C’est une femelle chevreuil, qui passe souvent par ici au petit matin. Je ne bouge plus, j’essaye même de ne pas respirer. De longues secondes s’écoulent. Elle ne bouge pas d’un millimètre. Et puis… elle baisse la tête et broute les quelques brins d’herbe que la neige a bien voulu laisser pousser. Je souris. Elle accepte ma présence. Soudain, sur ma droite, un craquement, comme une brindille dans le feu. Une autre tête jaillit sur le chemin juste en bas de chez moi. Celle-là porte de petites cornes. Il escalade le talus, et le voilà debout, le regard dans ma direction. Il est encore plus près, à 10-15 mètres de moi. Je continue de jouer les végétaux. Je veux jouir de ce moment le plus longtemps possible.

Une éternité plus tard, il tourne la tête vers sa compagne, et la regarde longuement. Et puis, d’un commun accord, ils se mettent en marche, lentement, dans la même direction, et s’éloignent. Lui d’abord comme pour donner le signal, et puis elle. Bientôt je ne vois que leurs croupes disparaitre avec souplesse et élégance dans les bois. Je reste là, inondé de bonheur. Partager un ciel étoilé avec un couple de chevreuils!

Le lendemain matin, 5h15, me revoilà. Même lieu. Le ciel m’a encore fait sortir, mais au fond de moi, une rencontre m’obsède. Hier, ça n’était ma première rencontre avec ce couple, ils passent souvent par ici vers ces heures, mais j’ai eu l ‘impression que nous nous reconnaissions et, qui sait, qu’ils appréciaient ma contemplation. Une sorte de communion sous la voûte céleste. Ce matin, je n’en espère pas autant. Peut-être juste les apercevoir ? Et puis, un névé attire mon oeil. Quelque chose bouge dessus. Je mets un moment à réaliser: un jeune chevreuil (dit-on un faon?) a du mal à tenir ses pattes verticales sur la neige. Je n’en crois pas mes yeux. Il est à une trentaine de mètres! Occupé comme il le semble, j’ose porter les jumelles à mes yeux: je le vois maintenant clairement, ce petit corps porté par des pattes immenses. Je n’en reviens toujours pas. Mais où sont les parents ? Je scrute les environs, dans la pénombre environnante. Je ne vois rien. En revenant vers le névé, je n’aperçois qu’un corps qui disparait, et puis des bruits de galop, plus bas dans le bois. Ils l’ont appelé, ils s’en sont allés, tous les trois, me laissant là sous le ciel qui s’éteint… Et s’ils avaient voulu me présenter leur progéniture ?

jp

Photo: Un autre jour, plus tard, une femelle (probablement la même) exactement dans la même position, même lieu.

Morning Commute

Nothing’s different. The car is sitting in front the house. Steve gets on board, pretty much at the same time as Rich next door does on his. A quick nod to Rich, Steve turns the ignition key, as well as the radio switch. Blinker, a look through the side window, the low-pitched sound of the engine is the same. Nothing’s different. Central street looks ghosty in the dawn light. Car lights seem to brush the sky, people’s shadows cross the street or get into cars. A yellow square draws Steve’s attention: it’s a Post-It sticked on the glove box door; it says “donuts”. Steve sighs: his turn today… He stops the car in front of the bakery, just before the train bridge. The lights inside the shop are so powerful that Steve thinks he should have taken his sunglasses. Nothing’s different. He puts the white box on the passenger seat, and gets the car under the train bridge. On the other side, the traffic is getting heavier. On Dempster Road starts the stop-go motion, one traffic-light to another: hundreds of people sitting alone in their car, watching the bumper in front of them. Nothing’s different. Approaching the highway, Steve decides to bypass it and to take Glenview Road instead.  It’s a bit longer, but at least traffic is not stuck. Two miles further, on the other direction, a police car makes a u-turn just in front of Steve’s car, and speeds up towards the mall where, sometimes, Steve picks up a friend. When he gets to the mall, several flashing police cars are there. The car behind honks as Steve slows down to see what’s going on. Policemen prevent people from slowing down, traffic must go. Nothing’s different.

When he gets to work, Steve takes the white box on the passenger seat, enters the building, passes security, and seats down in his cubicle. An hour later, he puts the white box on the meeting room table. The few people around say “hi”. Nothing seems different. Until someone enters the room and explains that Paul killed himself this morning before coming to work. Steve seats down, shocked; Paul is the guy he picks up from time to time. “Where did that happen?” he says. “On Dempster Road” replies someone.

The next week, Steve leaves his office for the last time; he resigned the very morning. He leaves the city, and goes to a place he had left years before because it was too far from the city, and too peaceful. Now, he feels that things were different there. Season after season, the landscape was different; at night stars were glowing in the sky, and during snow storms people were helping each other. Everything’s actually different there; and there is no reason to commute.

jp

Une belle vie

Il s’en est allé, sans prévenir, discrètement. Ce sont les autres qui en ont fait un évènement, ceux-là même qui l’avaient exclu, censuré, oublié. Les nouvelles générations ne le connaissent pas, c’est étrange d’être un inconnu dans un monde que l’on a tant défendu.  Pourtant, il n’était pas loin, juste là au bout du chemin qui monte vers le village, là où les cloches de l’église rythment la vie, là où l’authentique ignore le look, là où l’on boit un verre entre amis sur la place du village, un verre qui remplit les coeurs, qui nourrit ceux qui vivent une “vie moderne” comme le dirait Depardon. Une belle vie en somme. Jean Ferrat aimait cette vie. Au milieu de ces montagnes, il a vécu ce qu’il a chanté: l’amour, l’engagement, la poésie, l’amitié. Comme beaucoup, cette voix a accompagné ma vie: elle m’a parlé de l’holocauste, m’a fait découvrir Louis Aragon,  m’a expliqué le monde que je découvrais, et m’a surtout parlé d’amour. C’est cette voix que je voulais entendre le jour de mon mariage, et elle n’est jamais sortie de ma mémoire.

jp

Le jeu de la mort

En s’inspirant de l’expérience scientifique que Stanley Milgram conduisit en 1961 aux Etats-Unis, France 2 a imaginé un faux jeu télévisé dont le déroulement consiste à infliger des punitions sous forme de décharges électriques de plus en plus fortes à un individu qui ne répond pas correctement à des questions. Les punitions sont infligées par des candidats qui croient, eux, participer à un jeu et que les décharges électriques sont réelles; alors que les victimes sont des comédiens qui simulent leur douleur.

Quel est le but d’une telle mise en scène ?

En 1961, Milgram, chercheur en psychologie, voulait comprendre quels mécanismes du cerveau permettent que des horreurs comme celles commises par les nazis pendant la deuxième guerre mondiale soient possibles ? comment des hommes, sous l’influence d’une autorité, peuvent commettre des crimes épouvantables, sans aucune forme de rébellion.

En 2010, on peut s’interroger sur une telle “expérience”. Surtout lorsque l’on dissimule la chose derrière la belle mécanique bien huilée d’un jeu télévisé. Dans quel but ? Le réalisateur prétend qu’il s’agit de réfléchir au pouvoir que détient la télévision. Mais peut-on sérieusement penser que la télévision n’a pas de pouvoir sur les masses ? N’est-il pas évident que d’un point de vue de la consommation, de la politique, de l’éducation, de la culture, la télévision exerce des pressions à peine voilées sur nos sociétés ? Ne voit-on pas, par exemple, des étiquettes “vu à la télé” sur les produits en vente dans les supermarchés ? Nos hommes politiques n’utilisent-ils pas la télévision pour faire passer leurs messages ? N’essaye-t-on pas d’expliquer aux parents comment éduquer leurs enfants au travers d’émissions de télévision ? Ne permet-on pas à des personnes d’assouvir des fantasmes bien ciblés au travers d’émissions dites de “télé-réalité” ?

Alors, pourquoi imaginer un tel scenario pour démontrer quelque chose d’évident ?! Pourquoi une chaîne de télévision imaginerait-elle un tel “spectacle” pour démontrer la mauvaise influence qu’elle exerce sur les gens ? Difficile à croire. Difficile d’imaginer la télévision se jugeant elle-même. Difficile de croire à une candide démonstration.

Le résultat est que France 2 aura diffusé, en prime time, une émission dont le contenu inimaginable aujourd’hui, sera peut-être accepté demain; et que France 2 aura donc effectué une expérience grandeur nature sur les limites acceptables en matière de télévision. Cela me fait penser à ces rubriques sur les infos “people”. Sous couvert de les présenter d’une manière humoristique, ou de se moquer ouvertement des “people”, on diffuse néanmoins les mêmes informations que les journaux qui exploitent ce type d’information. A l’arrivée, quelle différence ?

Le jeu de la mort est donc le premier jeu télévisé qui va jusqu’à mettre en danger la vie d’autrui. Nous vivons une époque formidable.

jp

Sous le signe du Triplet

En attendant le printemps
Le ciel change. Pendant que nos nuits raccourcissent, des mouvements s’opèrent, la mécanique céleste se déplace et avec elle les belles constellations du Lion, de la Vierge, de la Grande Ourse et des Chiens de Chasse. Bientôt elles seront nos compagnes du début de nuit. Elles ont un point commun qui me ravit: elles regorgent de galaxies! Et depuis mon voyage vers le pôle nord galactique vous savez que j’ai un faible pour elles. Alors pour ce printemps, j’ai décidé de passer les semaines qui viennent à les observer attentivement, plusieurs fois si nécessaire, pour les voir évoluer, changer, se montrer différentes. Je vais passer mon printemps à les poursuivre, pour mieux les aimer. Et puis, j’ai pris une décision que je regretterais peut-être , vu mes capacités dans ce domaine : je vais essayer, modestement, de les dessiner; je devrais plutôt dire de les croquer, ce serait plus juste.

Répétition générale.
Alors, ce matin, c’est une sorte de répétition générale, d’abord pour retrouver mes repères dans cette région du ciel, et puis aussi pour essayer de faire un premier croquis, pour savoir ce dont je suis réellement capable… Je me suis levé à 3h pour éviter la Lune et surtout pour que le Lion soit plein sud-ouest, c’est à dire juste en face chez moi. Je suis tout excité de revoir une constellation que je n’ai pas visitée depuis le printemps dernier. Pour ces retrouvailles avec le noble animal, j’ai choisi de me concentrer sur trois triplets: tout d’abord le plus fameux (M65, M66, NGC3628), puis M95-M96-M105, et enfin NGC3681-3684-3686. Pourquoi des triplets ? D’abord par esthétisme, voir trois objets dans le même champ est une des plus belles choses qui soient; ensuite pour une raison plus émotionnelle: depuis un certain 27 février 1986, je peux dire que je vis, astronomiquement, sous le signe du triplet. Et ce matin, c’est presque un anniversaire.

M65-M66-NGC3628
Il est 3h30, je suis prêt. Le ciel est beau, sans plus. Il manque d’éclat. Le temps que je m’installe un nuage s’est réveillé du nord-ouest. Je le surveille d’un air méfiant. J’ai l’impression que lui aussi… Je pointe le triplet, très heureux de le revoir. Il est un peu à l’image du ciel, pas très en forme. M66, habituellement la plus ronde, est un peu tronquée ; son noyau est toutefois bien brillant. Etonnamment, M65 semble presque plus imposante que M66, son noyau est plus empatté, plus diffus. Quant à NGC3628, c’est une fine lame comme d’habitude, mais je ne vois pas la séparation, et le noyau est vaguement visible. J’ai l’impression de les avoir réveillées et qu’elles semblent s’étonner de ce regard précoce. Le nuage, lui, se fait menaçant, je le suspecte de vouloir venir me voir… Je sors vite ma planchette et commence à croquer la scène. Un oeil dans l’oculaire, un sur le papier blanc, et un troisième sur le nuage . Celui-là fait jouer ses pouvoirs magiques et se métamorphose pour couvrir plus de ciel, je fais comme si je ne voyais rien. Et puis, alors que je peaufine M66, elle disparaît de l’oculaire. Je lève la tête, le monstre s’est encore métamorphosé, il est énorme, et recouvre la totalité du Lion. J’avais bien vu son côté sournois. En plus il semble se moquer : il a pris la forme de l’Amérique du Nord ! Sournois et arrogant ! J’attends. Il se lassera avant moi. Un petit quart d’heure plus tard, il s’est volatilisé. Je ricane et reprends mon dessin. Mais l’ignoble individu, a laissé des mines derrière lui, des bribes, des filaments, qui passent et repassent. Je termine tant bien que mal mon dessin. Il me semble fidèle à la vision dans l’oculaire : un triplet des mauvais jours. Mais c’est comme ça, le ciel décide. Vous me direz ce que vous pensez du dessin, enfin du truc que j’ai fait là…

M95-M96-M105
Je me déplace un peu vers l’est, sous le ventre de la bête, pour aller voir mon deuxième triplet. Je localise M95 immédiatement, puis M105. Mais où est passée M96 ?? J’explore, vérifie mon orientation, regarde le PSA, revient à l’oculaire, pas de doute elle doit être dans le champ. Et puis, ah mais oui la voilà, oh la pauvre… c’est une ombre, un fantôme. A l’œil nu le secteur semble encore envahi par des résidus de ce nuage arrogant qui n’a pas supporté ma présence. Je passe du temps sur la zone, M96 se montre mieux par moment. Et puis, le triplet va se transformer en quartet : NGC3384 se montre là tout prés de M105. Elle est même en meilleure forme que M96 ! Je sens que les choses se gâtent. J’hésite à aller voir mon troisième triplet qui est plus difficile, mais bon, je suis debout, allez c’est parti !

NGC3681-3684-3686
Celui-là est une autre histoire. Des magnitudes de plus de 11 (11.4 à 11.7), et des tailles de 2’ d’arc au bas mot, il va falloir ouvrir l’œil ! A l’œil nu, j’aperçois difficilement la petite étoile qui sert de repère dans le triangle Denebolah-Zosma-Chertan. Elle n’est pourtant que de magnitude 5.5… Je pointe la région et commence à chercher. Pas évident. Et puis, au fil des minutes, une, puis deux rondeurs nébuleuses font leur apparition, et puis une troisième, enfin je crois, ah oui, ah non. Bref, le triplet est, comme attendu, particulièrement difficile. J’en vois clairement deux, de forme bien ronde, mais la troisième est comment dire ? …aléatoire

5h30, j’aperçois Saturne dans les brumes de la Vierge. Je m’y dirige. Ca bouge pas mal, et puis moins, curieusement c’est même plutôt stable au bout d’un moment. Je n’ose pas trop grossir, à 150x, le spectacle est malgré tout joli. Les anneaux sont finement visibles, et quelques bandes autour de l’équateur également. Heureux de retrouver Saturne aussi !

Je regarde le ciel, il est presque voilé par endroits. Je vais me rentrer, quand même heureux de ma sortie. J’ai vu ce que je voulais voir, à défaut d’une grande qualité de ciel, et j’ai fait un gribouillis du célèbre triplet.

Anniversaire
Ce petit matin du 27 février 1986, je sors de l’hôpital vers 6h. Comme pour chercher de l’oxygène, je lève les yeux vers le ciel : le Scorpion se lève, Antarès est magnifique, et sur sa gauche deux objets lumineux forment avec elle un triplet que je n’oublierai jamais. Mars et Saturne sont en conjonction ce matin là, tout près d’Antarès. Le triangle est magique, et c’est là que je décide que reposera mon père, qui vient de mourir dans mes bras, après avoir consacré sa courte vie à l’astronomie. Le signe du triplet vient d’entrer dans ma vie.

jp

Photo: Jean Pinson, 1959 – Pose de carrés de poix pour le polissage d’un miroir.

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Voyage vers le pôle galactique

Crainte et détermination.

Toute la journée de ce 22 janvier, la nuit était prévue claire. Ce n’est que vers 18h que je commençais à m’inquiéter : l’hygromètre grimpait anormalement malgré l’absence de prévision de précipitations. J’avais prévu une sortie aux alentours de 23h30, pour laisser le temps à la Lune de se coucher. Et justement à 23h l’hygromètre affichait 62%… je faisais clairement la tête, normalement dans de pareilles circonstances ça devrait rester aux alentours de 40%… J’hésite, et puis finalement à 23h30 je passe ma combinaison de cosmonaute, il est hors de question que je ne sois pas dehors en cette nuit du 23 janvier ! D’autant que le ciel semble très attirant. Il fait froid, -7° devant chez moi. Je charge la voiture. C’est parti !

Je suis vite arrivé, vous connaissez l’endroit où je m’arrête. En sortant de la voiture la neige crisse au premier pas, je souris de plaisir. Le thermomètre affiche -10°. Altitude 1765m. Je regarde le ciel la tête en arrière. Doucement je tourne sur moi-même, je suis au centre de l’univers! Je fais plusieurs tours au risque de me faire tourner la tête. Les constellations défilent devant mes yeux, comme défilait le paysage sur le manège de mon enfance. J’entends des rires, et mon cœur battre. Le manège s’arrête en douceur, je cherche la voiture des yeux.

Je sors le matériel, et l’installe calmement. Une petite bise me caresse la nuque, elle me dit que je vais avoir froid à un moment donné… Le windchill doit donner du -12° au bas mot. Minuit. Je prends la température du ciel en trois endroits : M31 au nord-ouest, presque couchée, M42 sud-ouest, bien basse, et la nébuleuse de l’Eskimo, haute et plein sud. Mes craintes liés à l’humidité se confirment : M31 est tristounette, M42 un peu éteinte, et l’Eskimo qui devrait pourtant aimer cette nuit glaciale est aussi un peu en retrait par rapport à ma dernière sortie, même si je vois son étoile centrale. Je constate tout ça, mais cela n’affecte ni ma détermination ni le programme que j’ai prévu. Il est des nuits où les choses sont simples et les envies plus fortes que tout.

Un voyage galactique.

Cette nuit je l’ai voulu essentiellement galactique, je vais suivre un chemin qui va m’emmener du Lynx jusqu’au Lion en passant par la Grande Ourse, les Chiens de Chasse, la Chevelure de Bérénice, et bien sûr la Vierge et son fantastique amas de galaxies. En route je passerai par le pôle nord galactique dans la Chevelure de Bérénice, ce point essentiel dans le système de coordonnées galactiques qui prend en compte la rotation de notre galaxie sur elle-même. Pourquoi ce choix ? Pour des raisons à la fois esthétiques et sentimentales : esthétiques parce que la vision d’une galaxie reste pour moi un spectacle sublime, d’une finesse et d’une force exceptionnelles ; sentimentales aussi parce que j’ai grandi auprès d’un père qui a passé sa trop courte vie à observer les galaxies, à les surveiller, à les écouter. Il y avait dans son bureau, un fichier de milliers de fiches bristol sur lesquelles il notait ses observations à chaque fois qu’il passait les voir. Ces fiches regroupent donc des notes couvrant une période de près de 30 ans de la presque totalité des galaxies du catalogue NGC. Sur chaque fiche, un titre simple écrit au normographe « NGC » suivi d’un numéro. Ce fichier d’un autre temps, j’y ai promené mes yeux avant même de comprendre ce qu’est une galaxie, et d’en voir une dans un oculaire. Ces fiches me fascinaient.

En cette nuit de mon anniversaire, comme tous les ans, je pense très fort à mon enfance, à ce qui m’a fait, et à ceux qui m’ont fait. Et les galaxies en font partie. Au détour des constellations il n’est pas rare que l’une d’elles me rappelle un souvenir précis, une parole ou une image. Ce soir, ce n’est pas qu’une balade galactique, c’est aussi un retour dans mon passé, et le plaisir de cette rencontre avec moi-même est plus fort que le froid qui m’entoure.

Le Petit Lion et le Lynx.

Je commence mon voyage galactique par une galaxie lenticulaire dans le Petit Lion, NGC2859. On pourrait croire qu’elle appartient au Lynx car elle se trouve à seulement quelques minutes d’angle d’Alpha du Lynx. Avec une magnitude de 11.8, je la trouve assez vite. Le disque est assez faible, mais le bulbe central relativement lumineux. Par contre, je ne vois pas l’anneau externe que l’on voit sur les photos.

Puisque je suis tout près du Lynx, je longe cette ligne brisée jusqu’à NGC2782. Sa magnitude visuelle est de 11.6, mais sa magnitude surfacique n’est que de 13.9. Elle m’apparaît vue de face, une forme légèrement allongée, mais peu lumineuse, et avec un noyau ponctuel.

Je poursuis en direction de la patte de la Grande Ourse, vers Kappa UMa et Talitha. En prolongeant ce segment de deux fois se trouve une toute petite (2.8’ x 2.5’) galaxie circulaire de faible magnitude surfacique (13.4), NGC2776. Si je vois bien sa forme ronde, je n’arrive pas à distinguer un noyau.

La Grande Ourse et les Chiens de Chasse.

C’est une étape importante du voyage. La Grande Ourse renferme des trésors. Je commence par rendre visite à Phecda qui me conduit jusqu’à M109, belle galaxie spirale. Sa forme m’apparaît clairement, mais je ne vois pas beaucoup de détails. Je décide de suivre la route reliant Phecda à Chara dans les Chiens de Chasse. Cette voie royale est jalonnée d’une bonne vingtaine de galaxies. A peine quitté M109, je rencontre un petit groupe de trois galaxies : une belle forme très effilée, bien marquée, plutôt lumineuse (magnitude 12.1) NGC4157, et un peu plus loin un duo faible mais de taille assez respectable, NGC4085 et 4088. Le petit groupe est plein de charme.

Je continue ma route en direction des Chiens de Chasse pour arriver sur une splendeur, M106, lumineuse, de belle taille (19’x 8’), c’est un joli spectacle.

Et puis, pris de remords je remonte sur Phecda pour aller voir un autre petit groupe : NGC 3738/3756 et un peu plus loin 3718/3729. Ces galaxies sont de petite taille (environ 2’x 2’), je les vois donc faiblement, de formes légèrement allongées, avec des noyaux ponctuels et difficilement visibles.

Un peu plus loin toujours dans la direction de Merak, je rencontre le Hibou, belle nébuleuse planétaire première exception à mon programme galactique. Sa taille me parait imposante à côté des petits groupes de galaxies, mais les yeux du Hibou sont difficiles à cerner avec une turbulence qui me complique la tâche. Heureusement M108 va me réconforter, sa forme élégante très allongée est magnifique, et surtout ce qui m’apparaît plus comme une étoile centrale, que comme un noyau, bien lumineuse rend l’ensemble magique malgré une transparence moyenne du ciel.

Puis, je quitte le quartier pour aller à la rencontre de M101, l’une des difficultés de la Grande Ourse. On ne sait jamais comment on va la trouver. Et ce soir elle me surprend : bien étendue, un noyau assez brillant, et une sensation de « mouvement » autour du noyau. Ce ne sont pas des bras, mais comme des vagues sur cette surface de faible magnitude.

Autre rendez-vous dont on ne sait jamais à l’avance ce qu’il sera : M51. Et là encore je suis agréablement surpris. Elle est bien lumineuse avec, en vision décalée, des vagues autour du noyau qui sont bien là des « amorces » de bras. La petite compagne NGC5195 est par contre plus discrète ; quant au pont de matière il reste invisible.

De là, il ne reste plus qu’à rejoindre M63, la galaxie du Tournesol. La forme est bien là, une belle ellipse, plutôt lumineuse. L’aspect granuleux de la zone centrale reste par contre invisible, le tout étant uniformément blanc.

Je quitterai la Grande Ourse par un bref passage sur les Chiens de Chasse pour aller voir M94 et son disque qui m’apparaît curieusement circulaire et bien lumineux. La surface de cette galaxie donne un effet de densité peu rencontré.

La Chevelure de Bérénice et la Vierge.

Me voilà proche du pôle nord de notre galaxie : j’entre dans la Chevelure de Bérénice. Je cherche un bon moment NGC4889 mais ne la trouverai finalement pas, ce qui me surprend étant donné sa taille et sa magnitude (11.4).

Je décide alors de descendre en direction de la Vierge, pour aller voir au passage M53 et NGC5053 (quoi de plus naturel moi le natif de 1953 !). M53 se montre facilement, mais je n’arrive pas à le résoudre, la difficulté de mise au point est notoire. Par contre, après NGC4889, voilà que je ne trouve pas NGC5053 ! Je ne comprends pas vraiment, cela a l’air facile…

Et voilà le clou du spectacle : l’amas de galaxies de la Vierge, un véritable sanctuaire de galaxies. Ce coin du ciel m’a toujours fait rêver. Je viens sur Vendemiatrix, puis survole l’amas en direction de Denebola du Lion. Le spectacle est grandiose. Je renonce à identifier chaque galaxie avec précision, mais me régale de la vue. D’un mouvement lent je survole ces autres univers, et en dénombre douze sur ma route, d’une grande diversité de forme : des petites spirales, des circulaires, des tourmentées. Les magnitudes surfaciques sont faibles dans ce nuage constitué de M58-59-60 et M84-85-86-87-88-89-90-91, et quelques autres !

Le Lion et Saturne.

Mon voyage touche à sa fin. Je voulais finir par le triplet du Lion : M65, M66 et NGC3628. Je n’ai pas vu ce trio depuis le printemps dernier, et je le retrouve un peu pâle. Chaque élément est néanmoins reconnaissable : la svelte M65, la ronde M66 et la fine lame de NGC3628. La vision de ces trois galaxies si différentes, qui remplit le champ du nagler 13mm est une des beautés du ciel, et des galaxies. Je les quitte heureux.

Comme je regarde le ciel à l’œil nu, j’aperçois Saturne blottie dans les bras de la Vierge. Je décide d’aller lui rendre une petite visite. Saturne est la seule planète qui me touche, celle dont la vision ne me laisse jamais indifférent. L’inclinaison des anneaux me ravit, j’aperçois quatre satellites. J’aime décidément Saturne. Je ne peux m’empêcher de penser à cet été 1966 où j’observais la disparition des anneaux semaine après semaine.

Epilogue.

Me voilà au terme d’une randonnée qui m’aura apporté beaucoup de bonheur et un peu d’émotion. Il fait froid, j’ai froid, mes pieds ont froid. Mais mon cœur est au beau fixe. Le ciel n’était pas au mieux, la faute à cet accès d’humidité, mais il m’a donné du plaisir, et à deux exceptions près, m’a permis de voir une trentaine d’objets galactiques qui ont pour moi une signification toute particulière. Un bien beau cadeau que m’a fait le ciel pour mon anniversaire.

jp

Photo: Observatoire Antarès,  La Seyne s/mer (var)

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La beauté se dessine en silence

17 décembre 2009.

Ce nouvel épisode de mes randonnées de décembre commence ce matin à 4h45 lorsque mon réveil interne me réveille pour aller voir le ciel. C’est un de ces matins où j’ai l’impression d’être réveillé par les astres. Et à peine dehors je comprends pourquoi : un vrai Atlas du Ciel vivant ! Je comprends aussi très vite qu’il ne fait pas chaud… le thermomètre affiche -10°. Je regarde ce ciel, comme ça, à l’œil nu, pour le plaisir. Le Grand Chien, Orion, et le Taureau se couchent, les Gémeaux semblent danser à l’étage au dessus, la Licorne, elle, plonge vers Orion. Je contemple, j’imagine les objets à voir, je pense à cette liste d’objets que je veux voir avant la fin de l’année. Mais pas le temps de sortir le matériel, je dois partir tôt ce matin, je prends rendez-vous pour le soir même.

20h. Le ciel est magnifique, la nuit est annoncée claire. Il fait déjà -8°. J’ai quelques idées de balade et une thématique « nébuleuse planétaire ». La neige crisse sous mes pas, j’aime ce bruit. Le tube est en place, je pointe ma première cible, un duo dans Céphée : NGC 6939, un amas ouvert, et NGC 6946 une galaxie toute proche. L’amas est assez ramassé, une sorte d’amas  globulaire (un peu comme M52 ou M37), on dirait que ses étoiles sont de même magnitude, l’ensemble est très fin, doux, discret, et fort joli au 13mm. A peine plus loin se trouve la galaxie. Je devine une nébulosité en vision directe, mais ne la vois bien qu’en vision décalée, sans pour autant distinguer une forme bien précise ; mais l’ensemble (amas + galaxie) vaut le détour, et tient dans le champ du 13mm.

Je remarque soudain qu’une petite bise souffle de manière irrégulière, d’où la mise au point difficile. La turbulence est aussi notable. Le ciel si clinquant se révèle plus difficile qu’il n’y parait…

De là, je veux aller voir NGC 7008, la nébuleuse planétaire du Fœtus dans la constellation du Cygne. A mi-chemin entre Deneb et Alderamin je la localise facilement. La vision au 13mm est magnifique, une double « albireo-esque » bleue et jaune et juste au-dessus un petit nuage bleu dont la forme allongée rappelle effectivement celle d’un fœtus. La chose est encore plus évidente au 7mm, mais la turbulence est décidément gênante ! En tout cas une bien belle vision que cette 7008 !

Puisque je suis dans le quartier je passe voir une autre belle planétaire : la Blinking, NGC 6826. Je la trouve facilement, mais la turbulence semble s’accentuer. Au 7mm je vois la centrale mais n’arrive pas à la mettre au point. Néanmoins l’effet « blinking » est bien présent : en alternant visions décalée et directe, la centrale et la nébulosité alternent, c’est toujours rigolo à voir. Mais la bise se mêle de la partie, et rend l’observation délicate.

Je me dirige alors dans la Baleine pour voir une autre nébuleuse planétaire NGC 246 qui, elle aussi, est proche d’une petite galaxie NGC 255. Las, la Baleine est assez basse et la turbulence fait rage, je ne parviens pas à distinguer quelque chose avec certitude. Je crois avoir aperçu la planétaire mais transparence et turbulence me rendent la tâche difficile. J’abandonne.

La bise forcit, les mélèzes donnent une impression de ressac un peu curieuse lorsqu’on a les pieds dans la neige ! Avant de quitter la Baleine je passe voir la galaxie M77. Elle se montre facilement, j’aime beaucoup la voir avec delta dans le même champ. Au 7mm, M77 se montre néanmoins discrète, je distingue le noyau et une nébulosité, sans autre détail.

Le ciel me parait de moins en moins transparent, et la turbulence de plus en plus forte. De plus, la bise commence aussi à rendre les choses difficiles, et à me geler les extrémités : je ne sens déjà plus mes pieds malgré deux paires de chaussettes…

Pour vérifier mon impression, je passe voir les galaxies M31 et M33. C’est bien ça, le ciel est de plus en plus difficile. M33 reste quasi-invisible, et M31 a des airs de M33 lorsqu’elle est en forme ! J’ai de plus en plus froid aux pieds…

Direction Orion, et une autre planétaire NGC 2022. Elle se situe dans le « chapeau » du guerrier, entre Bételgeuse et la pointe. Au 13mm, elle ne me saute pas à l’œil. Mais dès que je grossis avec le 7mm (143x) elle apparaît bien, plutôt grosse, ovale, bleu sombre, sans d’autre détail, là aussi la turbulence est pénible. Je repasse le 13mm et vois bien 2022 maintenant, mais au premier abord, ça n’est pas évident. Belle planétaire que je vois pour la première fois. Comme quoi il n’y a pas que M42 dans Orion ! D’ailleurs je passe voir aussi NGC 2186, amas ouvert au large de Bételgeuse. Il faut reconnaître qu’il est plutôt petit, et discret. Ses étoiles sont peu concentrées et j’en dénombre une vingtaine au bas mot.

La bise se renforce encore. Les -8° doivent maintenant en valoir -12°. Mes pieds me font souffrir. Je décide d’arrêter là. Ce ciel pourtant magnifique à première vue, se sera avéré assez moyen finalement : transparence médiocre et turbulence tenace. Mais j’ai bien aimé le duo de Céphée (6939/6946), le Fœtus, et 2022 dans Orion, sans oublier la Blinking du Cygne. Une belle soirée quand même, quand la presque totalité de la France est sous les intempéries !

Merci de m’avoir lu !

jp