Un nouveau départ

Featured

Bonjour à  tous,

J’ai voulu faire de cet espace quelque chose de différent. On n’y verra plus seulement des photos. Mais on pourra aussi y lire des textes, des opinions; et même voyager dans le temps par le biais de l’astronomie. En somme, des témoignages sous diverses formes. J’ai aussi voulu une présentation moins structurée, moins hiérarchisée. C’est à vous de trouver le fil, de suivre vos envies du jour ou du moment. Fouillez, avancez, reculez, les dates ne sont que des repères visuels, elles n’ont d’importance  que pour celui qui écrit. Pour le lecteur, ce qui compte ce sont les mots, les idées, les images.

Et puis, laissez-moi des messages pour me dire ce que vous en pensez. A bientôt !

Joel Alan
13 mai 2009

Lisboa em Novembro

Pour oublier un voyage annulé en Amérique du Sud, nous nous sommes posés sur l’autre rive de l’océan, à Lisbonne. En novembre, sous le soleil.

Pont du 25 avril.
Avenue de la Liberté
Place du Commerce
A tous les coins de rue.
En haut.
Funiculaires.
Street Art.
Descente.
Restaurant avec vue sur le Tage.
Vers le ciel.
Aiguillage.
Sardines.
Quartier de l’Alfama.
En montant au Castello Sao Jorge.
Mercado da Ribeira. Food course.
Sanctuaire du Christ Roi, sur le Tage.
Street art.
Monument des découvertes.
Quartier de Belèm.
Tour de Belèm.
Monastère des Hyéonymites, Belèm.
Cheers !
Quartier Rossio.
Ginja, spécialité d’alcool de cerises dans un verre en chocolat, quartier Rossio.
Street art sur le Fado, quartier Rossio.

jp

l’éducation alpine

Cet été là, les vacances seraient différentes.

D’habitude, nous passions une partie de l’été à Sospel, chez nos grands-parents paternels. Un endroit que ma soeur, mon frère et moi aimions bien. Une grande propriété à flanc de colline, une vraie terre d’aventures pour les petits citadins que nous étions. Le paysage était un mélange de campagne et de montagne. La première chose qui nous marquait à peine arrivé c’étaient les senteurs de la terre, des fleurs, et des buis. En fermant les yeux on aurait quand même su que nous étions arrivés. Ici, on allait chercher le lait à la ferme, on observait les paysans cultiver la terre, on découvrait les animaux de basse-cour, on observait les ânes et les mulets très utilisés sur ces reliefs escarpés, on écoutait les grenouilles et les crapauds, et on courait après la multitude d’insectes qui peuplent les prairies d’été. La nuit venue, les lucioles faisaient même scintiller le ciel. Je me souviens avoir eu l’envie de passer la nuit dehors pour en profiter encore plus.

Mais cet été 1963 promettait d’être différent.

Nos parents ne nous avaient pas donné beaucoup d’indices. Nous partions à la montagne, en Haute-Savoie; et nous devions passer quelques semaines dans un chalet. Dit comme ça, cela faisait envie. Mais lorsque nous arrivions à Morillon, après une longue journée de voiture, le ciel était couvert et il bruinait. Avec ma soeur et mon frère, nous cherchions des yeux un chalet, le plus inquiétant étant que nos parents ne semblaient pas en savoir plus que nous… Et puis nous nous arrêtions devant une maison du village. Une dame en sortait et avait l’air de nous attendre. Après une rapide discussion avec mes parents, elle leur donnait une clé, et leur indiquait une maison un peu plus loin où il fallait nous rendre. Là, un gars du pays, nous attendait avec… un cheval et un grand chariot !

Il expliquait à mes parents de charger le chariot avec nos bagages. Il allait falloir garer la voiture au village et continuer à pied, rendez-vous au chalet. Nous écarquillions de plus en plus les yeux: où allions nous ? Lorsque nos affaires furent chargées sur le chariot, et le cheval attelé, nous nous mettions en marche. Le monsieur nous indiquait le chemin à suivre, quant à lui il coupait à travers champs avec le chariot. L’excitation commençait à nous gagner. Quelle arrivée ! En chemin, les questions fusaient, mais nos parents ne pouvaient pas fournir beaucoup de réponses.

En quelques mots, nous avions loué un chalet d’alpage, accessible seulement à pied, et dans lequel nous allions passer les vacances.

Après une demi-heure de marche, nous arrivions devant un grand chalet. Le cheval avec sa cargaison nous attendait. Mon père ouvrait la porte, et nous déchargions le chariot. Puis notre “taxi” redescendait au village.

De grandes herbes humides entouraient le chalet. Pour nos petites tailles, la chose était assez déplaisante. Et puis l’intérieur du chalet nous laissait un peu rêveurs: une grande cuisine donnait sur une grande pièce qui tenait lieu de salle à manger, et puis tout au fond, derrière des paravents, le “coin nuit”. Le temps gris n’aidait pas mais il faisait sombre à l’intérieur, et froid. Une fois les bagages sommairement rangés, notre père s’affairait autour du poêle qui se mit bientôt à craquer. Et puis, comme nous cherchions l’interrupteur pour y voir un peu mieux, il posa sur la table une lampe qu’il disait “à pétrole” et qu’il alluma le temps de le dire. Nous nous regardions tous les trois, les yeux grands ouverts, ne disant pas un mot.

La soirée fut tristounette, nous avions du mal à appréhender le confort de notre chalet: pas d’électricité, pas d’eau chaude, et il fallait chauffer en plein été ! Heureusement, la fatigue nous rattrapa, et nous nous endormions bien vite.

Le lendemain matin, le silence nous réveillait. Il faisait bien noir à l’intérieur tant les volets étaient hermétiques. Mais lorsque notre père se leva et les ouvrit, le soleil se jeta dans nos bras. Nous nous précipitions aussitôt dehors, et restions en arrêt devant le paysage. En face du chalet, une forêt d’épicéas nous faisait comprendre que nous étions bien en montagne.

Après un rapide petit-déjeuner, notre père trouva une faux dans un petit local qui regorgeait de vieux outils et de toiles d’araignées. Devant nos yeux ébahis, les grandes herbes tombaient les unes après les autres, ouvrant l’espace et découvrant un immense terrain de jeu. En peu de temps, sans même celui de quitter nos pyjamas, nos rires envahissaient le silence. Nous commencions à aimer l’endroit.

Il nous fallut quelques jours pour découvrir tous les trésors du coin: les fraises des bois, les framboises, les fleurs de l’alpage, et la source en contrebas d’un bel épicéa où nous remplissions le broc pour nos repas. Une fois par semaine nous descendions au village pour se ravitailler. Nous remontions bien chargés, surtout le sac de notre père, avec entre autre de grosses miches de pain et une tomme de Savoie “entière” ce qui nous impressionnait et nous régalait. Lors du premier voyage, notre père avait aussi acheté des cartes “d’état major” d’une grande précision disait-il, sur laquelle on pouvait voir le moindre sentier. Le chalet allait devenir le camp de base de nos futures randonnées.

Chantal en route pour les courses !

Après une étude minutieuse des cartes, nous partions pour notre première randonnée: la Croix des Sept Frères (1682m). Le chalet se trouvant à environ 1100m d’altitude, le dénivelé n’était pas négligeable pour une première, mais le plaisir était au rendez-vous.

En route pour la Croix des Sept Frères.

Nous découvrions les alpages, ses senteurs et ses fleurs, ses insectes aussi, et l’air pur des montagnes.

Le bonheur se lit sur les visages.

A l’occasion de nos ravitaillements, nous en profitions aussi pour passer la journée en visitant la région. La première destination fut Samoëns, la petite ville à 5km de Morillon. Nous aimions nous promener dans le jardin botanique alpin La Jaÿsinia, à la découverte des plantes et fleurs des alpes. A la librairie, nous achetions des petits livres merveilleux, les Petits Altlas Payot, dont les belles planches glacées nous permettaient d’apprendre les fleurs des Alpes, et les champignons. La Jaÿsinia était aussi le nom de la grande pâtisserie de la ville, une institution crée en 1880, et dont les pâtisseries et les glaces faisaient notre bonheur, et celui de notre mère !

Et puis nous poussions parfois plus loin, comme Annecy en passant par le col de la Colombière:

Col de la Colombière, juillet 1963

A Annecy, nous découvrions un lac presque aussi grand que “notre” mer, dans nos yeux d’enfants.

Annecy juillet 1963

Et puis un autre jour, notre père voulait absolument aller à Chamonix, pour nous montrer le Mont-Blanc, tiens tiens !

Chamonix 1963, devant la statue de Saussure et Balmat montrant le Mont-Blanc qu’ils furent les premiers à gravir.

De retour dans nos alpages, nous continuions de parcourir les sommets alentours. Nous prenions goût à ce silence, à cet air frais qui couche les grandes herbes, aux sous-bois qui cachent les fruits de la terre, les fraises et les champignons, la petite faune aussi, oiseaux et belettes.

Nous aimions beaucoup les lacs, on a dû faire tous les lacs que les cartes de notre père montraient !

Lac de Montron, 1963

Du coup, nous commencions presque à nous prendre pour des alpinistes ! Christian et moi, mettions nos bas de pantalons dans les chaussettes pour “faire alpiniste” !

Eté 1963, les alpinistes devant le chalet !

La fin des vacances 1963 arriva trop vite. Et déjà cette question: “on reviendra l’année prochaine ?”

La réponse était une évidence tant nous avions tous aimé ce premier séjour. Les propriétaires, deux soeurs qui n’en revenaient pas que des citadins se satisfassent du confort sommaire de leur chalet de famille, celui-là même où elles avaient passé leur enfance, étaient ravies. L’été 1964 commença donc comme le précédent. Mais cette fois le séjour dura un peu plus longtemps, un bon mois jusqu’après le 15 août.

Après avoir fait les foins pour dégager l’entrée du chalet, nous prenions nos marques comme si nous venions ici depuis des décennies. Notre père nous apprit à faire une cabane, avec Christian et Chantal nous faisions des concours de descente sur herbe à en user nos shorts jusqu’à la trame, nous sculptions des bâtons de marche, et organisions des jeux dans le pré devant le chalet que nous appelions “gymkhana”, sorte de parcours du combattant avec diverses épreuves à passer dans un minimum de temps.

En dehors des journées bien occupées au chalet, et aux descentes régulières pour se ravitailler, nous continuions nos randonnées dans la montagne. Tous les lacs du secteur y passèrent:

Le lac du Vernant

Le lac de Gers
Le lac Vert

Puis, le plus grand de tous: le lac Léman !

Les cygnes du Lac Léman

Après quelques déboires avec un cygne, Chantal retrouva le sourire avec un cheval beaucoup plus pacifique.

Genève 1964

L’été fila encore plus vite que le précédent. Entre les randonnées et les visites en voiture, il y avait aussi les balades autour du chalet qui nous permettaient d’améliorer l’ordinaire avec de belles récoltes de sanguins et des omelettes succulentes, puis des tartes aux framboises sauvages ou aux fraises des bois que nous prenions plaisir à chercher et récolter. Même les spectaculaires orages qui s’invitaient au mois d’août, et les coups de tonnerres violents qui terrorisaient notre mère, n’arrivaient pas à nous faire regretter d’être là. Le 15 août arriva, et le cortège des orages nous suggérait avec regrets qu’il était temps de retourner sur les bords de la Méditerranée.

Et la même question se posa: “on reviendra l’année prochaine ?” Mais c’était maintenant une évidence pour tous, et pour les propriétaires aussi.

Début juillet 1965, nous comptions les jours et les heures en attendant que notre père finisse les corrections du bac, ce qui était synonyme de départ.

Cette année là, marquera aussi un tournant dans notre relation avec la montagne. Nous grandissions, et pouvions maintenant nous lancer dans des randonnées un peu plus longues et aussi un peu plus haut en altitude. Notre père attendait ça et nous avait concocté un programme alléchant.

Le premier objectif était de monter à l’altitude symbolique de 2000m. Et cela tombait bien puisque du côté de la station des Gets, il y avait un sommet qui faisait exactement l’altitude de 2000m: le Pic du Marcellys. La randonnée était néanmoins cotée “difficile” en raison d’un passage aérien au “Pas de l’Âne”, passage que notre maman commença à appréhender bien avant d’y être !

Le pic de Marcellys en 1965 et ses 2000m d’altitude. En arrière-plan, le Mont-Blanc.

Une photo d’aujourd’hui rend un meilleur hommage à ce lieu magnifique:

Le Pic de Marcellys, le chemin d’accès jusqu’à l’arête finale.

Le fameux “Pas de l’Âne” se situe au pied de l’arête finale, c’est un passage aérien, avec du vide de chaque côté. A l’époque, nous n’avions pas de corde, et il fallait faire quelques pas en ayant le sentiment d’être en équilibre sur le rocher. Aujourd’hui, ce passage a été équipé de câbles qui rend la chose beaucoup plus facile.

Le “Pas de l’Âne” aujourd’hui.

Notre mère, qui n’aimait guère le vide, prit sur elle pour franchir ce passage délicat. Elle en tremblait encore une fois au sommet. Aujourd’hui elle aurait pu se tenir au câble.

Passage aérien sur la crête.

Avec Christian, ce pic escarpé nous donna pour la première fois le sentiment d’avoir gravi un sommet, une montagne. Et pour notre père sans doute un peu aussi.

Christian se sent pousser des ailes et escalade les derniers rochers.

Et puis surtout, au sommet, nous découvrions l’incroyable vision du Mont-Blanc! Il semblait si près, si accessible de là-haut ! Cette vision nous a fascinés pendant de longues minutes. Sans doute que pour notre père, cela contribua à son désir d’y aller un jour. Pour moi en tout cas, j’ai toujours pensé au Pic de Marcellys comme à un tournant dans mon désir de montagne. Il y a eu un avant et un après. Et quand j’observe le panorama sur cette photo, je vois de gauche à droite le Mont-Blanc du Tacul (que je gravirai en 1970), le Mont-Blanc, le Dôme du Goûter, et l’Aiguille du Goûter en 1976, et tout à droite les Dômes de Miage et l’Aiguille de la Bérangère où j’emmènerai mon père en 1979 ! Tel un rêve prémonitoire ce panorama depuis le sommet du Marcellys est un comme un livre ouvert sur les quinze prochaines années de ma vie alpine !

Résultat de recherche d'images pour "vue du mont-blanc depuis pic marcellys"
Le Pic de Marcellys, en face le Mont-Blanc et les Dômes de Miage !

De retour au chalet, nous ne pensions qu’à repartir. Avec Christian nous avions maintenant de vrais pantalons de montagne, plus besoin de rentrer le bas de nos pantalons dans nos chaussettes ! Mais avant de plus belles aventures, nous reprenions nos randonnées autour du chalet.

Halte sur les hauteurs du chalet. A noter les pantalons d’alpinistes !

Et puis un beau jour notre père annonça la prochaine aventure. L’objectif était le Col d’Anterne à 2257m ! Nous allions prendre encore un peu plus de hauteur. Le site se voulait magnifique, avec une vue imprenable sur le massif du Mont-Blanc (encore !) mais cela allait nécessiter deux jours d’effort. Il fallait en effet partir de Sixt-Fer à Cheval, dans le massif du Giffre, à seulement 6km de Samoëns, mais avec une altitude de départ de 756m, nous ne pouvions pas rallier et redescendre les 2257m du col dans la journée. L’une des solutions était de dormir au refuge d’Anterne, mais notre père avait imaginé de dormir sous la tente ! Je crois que la raison était que le refuge nous éloignait de l’itinéraire, rallongeant encore la randonnée qui s’annonçait déjà longue. Par contre dormir sous la tente à cinq voulait dire des sacs bien lourds pour tout le monde…

Les préparatifs durèrent quelques jours: tente, duvets pour 5, ravitaillement pour deux jours, vêtements chauds pour la nuit et le petit matin, tous les sacs allaient devoir contribuer au portage, même celui de Chantal (presque 7ans) ! Mais celui de notre père sera de loin le plus lourd.

Le premier jour nous devions gravir quelques 1000m de dénivelé, depuis Sixt jusqu’aux pâturages de Grasses-Chêvres (à 1700m environ) où nous passerons la nuit. Le lendemain il faudra gravir les 557m restants et redescendre la totalité des 1500m jusqu’à Sixt. Belle mais longue randonnée !

La tente aux pâturages de Grasses-Chêvres

La nuit se passa bien, mais le matin était froid et les anoraks n’étaient pas de trop. Avec Christian et Chantal nous étions aux anges, une vraie aventure !

Le lendemain, nous repartions avec une motivation intacte, surtout que nous allions rencontrer nos premiers névés ! Cette fois nous entrions définitivement dans le cercle de la haute montagne !

Premier névé sur les pentes du col d’Anterne

Vers 2000m d’altitude nous rencontrions le lac d’Anterne, un nouveau lac à notre collection, puis le col juste au dessus à 2257m (au pied de la paroi rocheuse sur la droite)

Image associée

De là-haut, une nouvelle vue imprenable sur le massif du Mont-Blanc nous attendait !

Vue magnifique depuis le col d’Anterne !

Aujourd’hui, je me dis que nous tournions autour du Mont-Blanc, et que je sais bien pourquoi!

D’ailleurs, la suite du séjour 1965 allait continuer dans la même direction. Car, après avoir vu le Mont-Blanc depuis le Pic de Marcellys et le col d’Anterne, nous allions nous en approcher encore plus. En effet, pour clôturer en beauté cet été, nos parents avaient décidé de s’offrir le téléphérique de l’Aiguille du Midi ! Et de là-haut, à 3842m, nous étions encore plus près.

Depuis la passerelle d’arrivée du téléphérique de l’Aiguille du Midi (3842m)

En me voyant sur cette photo, je ne pouvais pas bien sûr imaginer que 5 ans plus tard, je me retrouverai sur la même terrasse après avoir escaladé l’arête des Cosmiques sur la face sud de l’Aiguille du Midi; la course se termine en effet sur cette terrasse. Et puis tout le reste suivra, les stages, les grandes courses, et le Mont-Blanc !

Lorsque nous quittions le chalet en cette fin d’été 1965, les envies de montagne étaient donc de plus en plus fortes. Elles étaient nées au chalet, et allaient grandir avec nous. Avec Christian, nous étions convaincus que l’histoire n’allait pas s’arrêter là. Mais nous ne savions pas encore que cela prendrait un peu de temps et que nous ne reviendrions plus à Morillon… Les évènements familiaux à venir allaient en décider autrement et nous tenir éloignés des montagnes pendant quelques années. Mais nous allions tous nous y retrouver à partir de 1969, revivre les émotions nées en Haute-Savoie. Notre éducation alpine nous aura marqués à vie. Aujourd’hui nous aimons toujours la montagne et aimons nous y retrouver avec nos propres enfants et petits-enfants. La boucle est bouclée !

Ce qui suit est un petit florilège des années qui suivirent. On nous y voit grandir, et accompagner notre père dans des courses de plus en plus difficiles. Il nous a transmis sa passion, et se montra en montagne sous un jour différent, disponible et attentif, à l’écoute de nos envies. L’histoire aurait pu continuer un peu plus longtemps.

jp

Tête du Lançonet (2514m), Alpes de Haute Provence, juillet 1966
Brêche de la Portetta (Vanoise, 2651m), juillet 1969
Brêche de la Portetta (Vanoise, 2651m), juillet 1969
Brêche de la Portetta (Vanoise, 2651m), juillet 1969
Dans la Brêche de la Portetta (Vanoise, 2651m), juillet 1969
Pointe de la Réchasse (3212m), Vanoise, juillet 1969, “premier 3000m” !
Pointe de la Réchasse (3212m), Vanoise, juillet 1969, sommet
Pointe de la Réchasse (3212m), Vanoise, juillet 1969, descente
Traversée de l’Aiguille de la Vanoise (2796m)
Traversée de l’Aiguille de la Vanoise (2796m)
Traversée de l’Aiguille de la Vanoise (2796m) avec Denis Latour
Traversée de l’Aiguille de la Vanoise (2796m)
Aiguille de Polset (3531m), Vanoise, 1975
Aiguille de Polset (3531m), Vanoise, 1975
Aiguille de Polset (3531m), Vanoise, 1975
Aiguille de Polset (3531m), Vanoise, 1975
Aiguille de Polset (3531m), Vanoise, 1975
Aiguille de Polset (3531m), Vanoise, 1975, au sommet dans le vent
Pointe de la Réchasse (3212m), Vanoise, août 1975
Pointe de la Réchasse (3212m), Vanoise, août 1975
Pointe de la Réchasse (3212m), Vanoise, août 1975, sommet
Pointe de la Réchasse (3212m), Vanoise, août 1975
Aiguille du Bochor (2887m), Vanoise, août 1975
Aiguille du Bochor (2887m), Vanoise, août 1975
Aiguille du Bochor (2887m), Vanoise, août 1975
Aiguille du Bochor (2887m), Vanoise, août 1975
Aiguille du Bochor (2887m), Vanoise, août 1975, au sommet dans le brouillard
Aiguille du Bochor (2887m), Vanoise, août 1975
Aiguille du Bochor (2887m), Vanoise, août 1975
Les yeux vers la prochaine destination
La Grande Casse (3855m), Vanoise août 1975, franchissement des crevasses dans la pénombre
La Grande Casse (3855m), Vanoise août 1975, lever du jour
La Grande Casse (3855m), Vanoise août 1975, sur le glacier
La Grande Casse (3855m), Vanoise août 1975, vers le col des Grands Couloirs (3700m)
La Grande Casse (3855m), Vanoise août 1975, au-dessus du col des Grands Couloirs
La Grande Casse (3855m), Vanoise août 1975, sommet en vue

jp

La Grande Casse (3855m), Vanoise août 1975, quand on touche le ciel !

jp

la montagne des agneaux

Après la traversée des Dômes de Miage (le 14 août 1979 – voir vol au-dessus du glacier) il avait été question d’une course dans le massif de l’Oisans. Plus exactement, mon père parlait de cette course depuis quelques étés; la lecture de “ses guides” le faisait rêver d’une voie particulière dans la Montagne des Agneaux.

Les Agneaux sont constitués de trois sommets : la Calotte des Agneaux (ou Agneau Blanc) à 3634 m, le sommet central à 3648 m et le point culminant (ou Agneau Noir) à 3664 m. Celui qui faisait rêver mon père était l’Agneau Blanc par la voie Coolidge dite aussi la voie de la “calotte”. Cette voie, ouverte en 1926 par l’alpiniste américain Coolidge, a la particularité de se terminer par une grande plaque de glace, une “calotte” assez raide qui donne à cette voie une esthétique aérienne qui fait rêver le grimpeur.

C’est vrai qu’elle était tentante cette voie. Moi aussi elle me plaisait. Et puis j’aime bien l’Oisans. On y était venu la première fois en 1969. Cet été là avait été intense: d’abord trois semaines en Vanoise où avec Christian et mon père on avait fait pas moins de 9 sommets, dont trois au-dessus de 3000m, des premières pour nous. Et puis nous avions fini nos vacances par deux semaines en Oisans. Ce massif a une autre dimension que celui de la Vanoise. C’est une nature sauvage, avec beaucoup de glaciers, et des sommets mythiques comme La Meije ou la Barre des Ecrins qui font partie de la grande histoire de la conquête alpine. En cet fin d’été 1969, nous y avions grimpé le Bec de l’Homme (3456m), notre dixième sommet de l’été, un sommet magnifique qui surplombe le fabuleux glacier du Tabuchet, juste au pied du grand Pic de la Meije (3983m) et du Rateau.

La beauté sauvage de l’Oisans
Mon père dans l’ascension du Bec de l’Homme, au-dessus du glacier du Tabuchet

Et puis en 1979 j’ai fait mon stage à La Bérarde, cette “mecque” de l’alpinisme, ce petit village au coeur du massif que seuls les alpinistes fréquentent. J’en étais ressorti avec encore plus d’amour pour ce massif. Donc, la calotte des Agneaux, c’était effectivement très alléchant.

En cet été 1980, j’acceptais donc de passer deux semaines à Villar d’Arène, et de tenter les Agneaux avec mon père si le temps le permettait. Par contre je ne pouvais pas me libérer avant le 15 août, et en montagne après le 15 août la météo devient instable.

Mais il y avait autre chose qui me tracassait. La calotte des Agneaux, comme toutes les courses de glace, devient plus difficile en fin d’été car il ne reste que de la glace sur les sommets, la neige ayant fondu pendant les chaleurs estivales. Fin août, la cotation de la voie grimpe d’un ou deux crans. Cela voulait dire, qu’il allait falloir grimper cette calotte, non pas dans de la neige, mais sur de la glace solide avec une pente moyenne de 45-50º, et donc poser des broches, faire des relais pour s’assurer mutuellement, un peu comme dans une course de rocher.

Je savais, surtout après mon stage de l’année précédente, que j’étais capable de mener cette course à bien. Mais mon père n’avait jamais fait ce genre de choses. Et je me posais des questions. Dans le Mont-Blanc et les Dômes de Miage, il s’agissait de marcher ensemble sur une arête. Dans la calotte, il faudra grimper l’un après l’autre, savoir manier ses crampons dans une pente extrême, savoir poser des broches à glace pour assurer l’autre, savoir les récupérer, et être capable de passer près de 2h sur de la glace vive sans aucun plat pour se reposer.

Sans en rajouter, entrainer mon père dans cette aventure n’a pas été pas une décision simple. Il fallait conjuguer plaisir et sécurité. Dans une cordée, il y a toujours cet aspect des choses, assurer l’autre et compter sur lui en cas de difficulté. Mais quand l’autre est son père, cela change un peu les choses. Il ne fallait pas lui faire prendre des risques inconsidérés, ni avoir les mêmes attentes pour ma propre sécurité que celles que j’aurais eu avec un compagnon de mon âge et de mon niveau.

Les quelques jours précédant notre tentative, je faisais répéter à mon père, les gestes essentiels pour sa propre sécurité, et ceux qu’il lui faudrait effectuer pour garantir la mienne. De mon côté, j’avais réfléchi à ne prendre aucun risque. Par exemple, ne pas faire de trop longs relais dans la calotte, pour qu’il ne reste pas trop longtemps immobile et aussi pour limiter les conséquences d’un éventuel décrochage de ma part en tête.

Le 21 août, nous voilà donc partis pour le refuge de l’Alpe de Villar d’Arène (2079m).

Départ pour le refuge

Mon sac était lourd. Ne sachant pas exactement l’état de la glace dans la calotte, j’avais emmené pas mal de matériel pour couvrir toutes les situations. Et puis, si gravir la calotte était la difficulté majeure, la descente en était une autre. Lorsque les conditions le permettent, la voie de descente est la même que celle de montée, c’est à dire que l’on redescend la calotte. Mais ça se fait plutôt en début de saison, lorsqu’il y a encore pas mal de neige. Fin août cette option serait sans doute impossible. Il faudrait donc redescendre par une autre voie. J’en avais repéré une, par un petit glacier derrière le sommet. Seul problème il y avait une rimaye dont le franchissement nécessiterait de faire un court rappel. J’avais donc emmené deux cordes, une pour le rappel, une pour l’assurance, ce qui avait un prix en terme de poids.

Montée au refuge de l’Alpe de Villar d’Arène

Le soir au refuge, répétition générale.

Voie Coolidge

Une fois sur le glacier d’Arsine (en bas sur la photo) il faut remonter en direction d’une rimaye vers 3350m, puis rejoindre l’arête pour attaquer l’ascension de la calotte jusqu’au sommet.

Le refuge étant assez bas (2079m), le dénivelé jusqu’au sommet est important (1500m). Nous arrivons sur le glacier aux premières lueurs du jour.

Sur le glacier d’Arsine

Le temps est beau, nous progressons régulièrement et sans trop d’arrêts. J’ai les yeux rivés sur la calotte pour essayer de savoir ce qui nous attend. Du sommet je suis l’itinéraire des yeux, et puis: il y a une cordée un peu plus haut que nous. Ils sont deux. J’espère qu’on ne va pas se gêner dans la calotte…

La pente s’accentue

J’observe la progression de l’autre cordée, j’ai l’impression que nous progressons plus vite. On risque de se retrouver à la rimaye. Quelques minutes plus tard, c’est chose faite.

La cordée que nous rattrapons franchit la rimaye

Je suis un peu contrarié, impossible de les doubler, il va falloir se caler sur leur progression, ce qui change un peu mes plans. Je voulais faire des relais plutôt courts et rapides, il va falloir que je m’adapte à ce qu’ils font…

Le temps qu’ils franchissent la rimaye et qu’ils prennent de la hauteur, on s’équipe en mode “calotte”, mousquetons et broches sont de sortie, on resserre les crampons, enfile les gants, et on attend un peu avant de se lancer derrière eux. Bientôt quelques petits morceaux de glace nous tombent dessus. Je râle. Le premier de l’autre cordée joue du piolet, il semble tailler des marches au lieu d’utiliser ses crampons ! Ça ne me dit rien qui vaille, je décide de les laisser prendre un peu plus de champ, mais l’heure tourne et je ne veux quand même pas trop attendre.

Au-dessus de la rimaye

Voilà déjà le soleil et nous ne sommes pas encore dans la calotte. Je n’aime pas ça. Les derniers mètres de neige, et nous voilà sur l’arête au bas de la calotte. Comme attendu, c’est de la glace pure. C’est là que commencent les choses sérieuses. Depuis l’arête un petit vent remonte du couloir Piaget, le couloir d’à côté. Je dis à mon père d’enfiler sa veste car malgré le soleil il ne fait pas chaud, et au relais il risque même de faire froid. Dernières vérifications, et j’attaque. Avec les pointes avant de mes crampons je m’élève rapidement, la glace est parfaite. Je fais une petite longueur (20-25m), cherche un endroit pour poser une broche, m’assure, et fais monter mon père. C’est l’instant que j’attends depuis des jours. Comment va-t-il s’en sortir ?

Première longueur dans la calotte. A gauche dans l’ombre le couloir Piaget d’où monte le vent.

Tout va bien, il me rejoint sans trop de difficulté. Je vérifie qu’il s’assure sur le relais, lui redonne les consignes pour m’assurer lorsque je vais monter, et surtout lui rappeler de ne pas oublier de récupérer la broche. Me voilà reparti pour une deuxième longueur.

Deuxième longueur.

Rassuré par la qualité de la glace, je monte un peu plus haut cette fois. Mais l’autre cordée n’est pas très loin, je les entends. A la manière dont le premier joue du piolet, je me dis que leur technique est un peu limitée. Il va falloir que je ralentisse.

Je fais monter mon père. Tout semble aller, avec mon petit appareil photo attaché au baudrier je fais quelques photos, puis soudain… je le vois qui s’agite dans une drôle de position, il est presque parallèle à la pente au lieu d’être face à elle. Je demande ce qu’il se passe, il me dit que la lanière de l’un de ses crampons est desserrée…

Mon père resserre les lanières de ses crampons !

Je ne dis rien mais je fulmine. Il est coutumier du fait, je lui dis souvent de les resserrer. Mais là, ça n’est vraiment pas le bon moment… en une minute beaucoup de choses me traversent l’esprit: va-t-il falloir que je redescende pour l’aider, pourvu qu’il ne perde pas son crampon… mais surtout rester calme. J’attends qu’il me dise quelque chose. Et puis au bout de quelques minutes qui m’ont paru une éternité, il me dit que c’est bon. Le voilà qui continue sa progression. Je l’assure encore plus tendu, au cas où.

Le voilà qui me rejoint. Je vérifie ses lanières, resserre tout, râle un peu mais pas trop. Il faut se reconcentrer sur la suite. Je m’apprête à repartir quand une pluie de petits bouts de glace nous tombe dessus. Les casques jouent leur rôle, mais un morceau me tombe directement sur la main gauche. Malgré le gant je ressens une vive douleur. Je crie au-dessus pour leur rappeler qu’on est en dessous. Un “désolé” redescend. En attendant, ma main me fait mal. Heureusement c’est la gauche. Je reprends ma progression, la douleur passe un peu et puis surtout je me concentre sur le reste.

Une trentaine de mètres plus haut, je rattrape le deuxième de la cordée. Il est au relais, et va repartir. Je lui dis gentiment d’arrêter de tailler avec le piolet, que la glace est parfaite et que ça ne sert à rien à part nous balancer des morceaux sur la tête. Il me dit que c’est le premier qui le fait, mais qu’il va le lui dire.

On rattrape l’autre cordée dans la calotte.

D’ailleurs je le vois au relais les pieds posés sur une petite marche que son premier a dû effectivement tailler consciencieusement, je ne dis rien mais bon… ma main est douloureuse. En attendant qu’il reparte je pose ma main sur la glace pour que la douleur passe un peu. Dès que l’autre est parti, je fais monter mon père, et les laisse prendre plus d’une longueur d’avance pour éviter de les rattraper à nouveau. Nous avons gravi la moitié de la calotte, le côté aérien de cette pente est vraiment excitant. Mon père ne dit trop rien, l’ambiance de la voie semble l’impressionner un peu.

Encore deux longueurs, et je tire un virage sur la droite pour me mettre dans l’axe du sommet. Tout en bas, je devine le refuge, du coté du lac du Pavé. On a pris une sacré altitude !

On approche du sommet. En contrebas, le lac du Pavé d’où nous sommes partis ce matin

Deux nouvelles longueurs et je vois la pente au-dessus de moi disparaitre, nous y sommes, le sommet est juste à portée de main. Bientôt, je vois mon père surgir de la dernière longueur raide, il semble en équilibre sur l’arête. Je prends cette photo beaucoup vue dans les bouquins. Et au loin, sur l’horizon, mais oui: c’est le Mont-Blanc !

Sortie de la calotte, au loin le Mont-Blanc

Nous voilà au sommet, une tape sur l’épaule, mon père est soulagé, il a trouvé la calotte difficile. On regarde le paysage en silence, quel panorama !

Au sommet. No comment…
Soulagé, tout s’est bien passé !

L’autre cordée est un peu plus loin sur les rochers. Ils sont allongés au soleil et ne semblent pas pressés de redescendre. Tant mieux, car je ne veux pas attendre derrière eux pour le rappel. De plus, le soleil commence à chauffer, et le passage de la rimaye doit se faire au plus vite. On grignote quelques fruits secs, et nous voilà partis dans la descente opposée à la calotte. Nous devons rejoindre le glacier du Réou d’Arsine en contrebas du sommet, franchir la rimaye, puis redescendre tout le glacier pour rattraper le chemin jusqu’au refuge.

La descente depuis le sommet (S), le rappel (R) et la descente du glacier. On voit l’autre cordée

Pas de problème pour redescendre du sommet crampons aux pieds. Je regarde s’il serait possible de sauter la rimaye à l’aplomb de l’Agneau Noir, mais la marche est trop haute. Je continue donc la traversée du névé en suivant la trace laissée par les cordées précédentes, et je tombe sur un rappel déjà équipé avec des broches en bon état. Soulagement, c’est toujours ça de moins à faire. J’équipe mon père, explique la manoeuvre, il n’a qu’une dizaine de mètres à descendre pour prendre pied sur la glacier. Tout se passe bien, je descends à mon tour. Une bonne chose de faite ! Nous descendons sur la rive gauche du glacier, et nous arrêtons pour manger un peu car il y a plus de 9h que nous sommes partis du refuge.

Pendant que nous mangeons, nous voyons l’autre cordée suivre le même chemin. Je prends la photo ci-dessus, on les voit assis sur le glacier en train de se déséquiper.

Un gros quart d’heure et nous rattrapons le lit du glacier pour le descendre. J’ai préféré que nous restions encordés, sur un glacier on ne sait jamais. Nous marchons côte à côte, des anneaux à la main, la pression redescend, je sens la tension physique et surtout nerveuse se relâcher quand soudain… un énorme craquement!

Je me retourne, et vois un énorme sérac se détacher derrière nous (voir cercle rouge sur la photo ci-dessus). Il a l’air vraiment gros. Une fois sur le glacier il commence à rouler dans un grand fracas, et surtout dans notre direction, au beau milieu du glacier.

Mon sang ne fait qu’un tour, je crie à mon père de courir en direction de la rive droite. Je m’occupe de la corde comme je peux, et nous piquons un sprint, crampons aux pieds, pour s’éloigner de l’axe de la trajectoire du sérac. Quand nous arrivons au bord du glacier, nous nous écroulons dans la neige, épuisés par ce sprint. Mais autour de nous, à nouveau le silence. Je regarde vers le haut, le sérac s’est planté une centaine de mètres au-dessus de nous… Ouf !

C’est une bonne illustration des risques dits “objectifs” en montagne. Lors d’une course de glace, il faut toujours garder à l’esprit ce genre de choses. L’été, le soleil chauffe fort, et il faut redescendre avant que les glaciers ne craquent de partout. Depuis les refuges, il n’est pas rare d’entendre, et même de voir, des chutes de séracs. Cette fois là, nous en avons vu une de très près !

Une heure plus tard, nous rattrapons le chemin et faisons une dernière halte pour ranger le matériel et manger encore un morceau. Assis côte à côte sur une herbe bien verte, le regard en direction de cette montagne des Agneaux si belle, nous sommes perdus dans nos pensées et… fatigués ! Je suis heureux d’avoir réussi à mener cette course à son terme. Je me suis posé beaucoup de questions, avant et pendant, mais finalement je me dis que mon père doit être content. Même s’il ne le dit pas. Car il parle peu de ses émotions. Mais à ce moment précis, une main se pose sur mon épaule et la serre en la secouant un peu; je tourne la tête, et je vois le sourire de mon père. Je crois qu’il est content.

Je ne le savais pas encore, mais nous venions de faire notre dernière course ensemble. A peine plus de cinq ans plus tard, il nous quittait. J’aime à penser que ce jour-là, ce 22 août 1980, nous avions passé une dernière belle journée ensemble.

Epilogue

Onze mois plus tard, je retrouve Christian à Vence. Avec mon “copain d’escalade” Gérard, qui est en vacances dans le coin, nous allons tous les trois grimper la voie Malet au Baou de St Jeannet.

Après une parenthèse douloureuse de sa vie, à Metz, Christian a rejoint le sud depuis le début de l’année scolaire et habite maintenant Vence. Depuis le Mont-Blanc nous n’avons plus eu l’occasion de grimper ensemble. Mais cette année-là il fréquente assidûment le Baou, et connait bien la voie Malet, un grand classique. Avec Gérard, nous allons donc profiter de son expérience.

Voie Malet au Baou de St Jeannet

Le passage difficile se situe dans le dièdre aux pitons (R8, R9, R10). Mais Christian est en forme, et maitrise complètement ce passage.

Christian aborde le dièdre aux pitons
Depuis R10, passage en 5c

En le voyant grimper, si à l’aise sur le rocher, je me dis que nous ferions une belle cordée pour des courses mixtes en montagne: lui sur le rocher, moi sur la glace, cela devrait bien marcher ! nous n’avons pas encore 30 ans, l’avenir nous appartient.

Avec Christian au sommet
Sommet du Baou – Juillet 1981

Mais nous n’aurons pas cette chance, et cette matinée d’escalade sera notre dernière sortie ensemble. Quatre ans et demi plus tard, lui aussi s’en allait. Mes deux compagnons de cordée partis tous les deux en même temps… retourner en montagne deviendra compliqué. J’ai mis longtemps à même l’envisager.

Peut-être que ces quelques mots me le permettront.

jp

vol au-dessus du glacier

Deux mois après l`’ascension du Mont-Blanc (le 14 juillet 1976 – voir le rêve blanc), je me retrouvais militaire dans les Landes. En effet, j’avais décidé de résilier le sursis dont je bénéficiais, et qui courait encore pour deux ans, afin de me débarrasser de cette corvée… Le changement était brutal: la séparation, avec Annie on le vivait très mal, et puis le renoncement à la liberté, la beauté de la montagne, le grand air, l’aventure alpine, tout ça balayé par les contraintes de la vie militaire. La pilule était dure à avaler, mais je ne pouvais plus reculer. Et cela allait durer un an…

J’avais aussi dû abandonner mon travail, et accessoirement mon salaire. Même si mon employeur me conservait ma place, l’année s’annonçait vraiment difficile sur tous les plans. Heureusement – un moindre mal – l’armée avait besoin d’informaticiens, et après mes trois mois de formation militaire, je devais être affecté dans un service qui réclamait mes compétences. Au moins je continuerais à pratiquer mon métier, pour la généreuse somme de… 224 francs par mois (je n’ai pas oublié!) soit environ 35€, ce qui même en 1976 n’était pas grand chose.

Dans les Landes, je faisais tout pour échapper aux exercices militaires, et fut rapidement sélectionné dans l’équipe de cross-country de la compagnie. Cela me permettait de sécher, en toute légalité, nombre de manoeuvres, puisque pendant ce temps on s’entrainait et préparait la compétition “inter-compagnies” qui semblait être d’une importance capitale pour le commandement. Au moins, je maintenais ma condition physique, ce qui était une autre de mes inquiétudes.

Inutile de dire qu’il ne fut pas question de montagne jusqu’en septembre 1977. Mais dès la liberté retrouvée, je retrouvais le copain avec qui j’avais commencé un programme intensif d’escalade en 1976. Quasiment tous les samedis on “grimpait” dans la forêt de Fontainebleau qui regorgeait de parcours balisés sur des blocs (plus ou moins gros, certains faisaient jusqu’à 10-15 mètres) ce qui permettait de s’entrainer sérieusement sans prendre beaucoup de risques. Libéré de mes obligations, je redoublais donc d’activité.

Fontainebleau en hiver…
… ou en été !
Le terrain de jeu est infini

L’année 1978 commença en fanfare avec l’arrivée d’un petit bonhomme qui allait transformer notre vie de couple en une famille. Cette année-là, il ne fut bien sûr pas question de montagne non plus, car la tête était ailleurs, et les nuits bien trop courtes !

Malgré tout, les sorties à Fontainebleau continuaient, et on poussait même jusqu’en Normandie pour aller grimper sur les falaises qui surplombent l’Orne, du côté de Clécy, dans une région que l’on appelle la Suisse Normande.

Escalade en Suisse Normande
Sortie de voie à Clécy

Lorsqu’arriva l’année 1979, le manque de montagne commençait toutefois à me titiller. J’étais en forme, ayant repris la course à pied sérieusement, et préparant les 20km de Paris pour l’automne. Et donc, au mois de juin, je me décidais à partir dans le massif des Ecrins pour un stage avec le Club Alpin Français (CAF) à La Bérarde, au Centre National de Ski et Alpinisme. Le stage était intitulé “stage premier de cordée”, il s’agissait surtout de travailler les techniques sur glace et la maitrise des courses alpines mixtes (rocher et glace), dans la position d’un premier de cordée.

Nous étions huit. Nos deux guides instructeurs nous avaient organisé en quatre cordées de deux, et nous alternions la position de “premier” et de “second” dans la cordée. Après quelques exercices sur glacier pour se mettre en jambes, nous partons dès le lendemain matin gravir le sommet Sud-Est de la Roche d’Alvau (3627m). Course difficile et longue. Partis à 3h du matin, il nous faudra 6 heures pour arriver au sommet, avec un couloir de 600m à 45º à gravir. Au sommet, la fatigue est déjà présente pour tous les stagiaires, pour un début c’est du costaud !

Sommet SE de la Roche d’Alvau (3627m) par la face SE. En rouge, l’itinéraire de montée et de descente, avec l’indication du dévissage en haut du couloir de 600m qui disparait derrière la paroi rocheuse.

Nous redescendons par la même voie. La difficulté se situe dans la redescente du couloir de 600m. La pente y est raide et, en ce mois de juin, beaucoup de neige recouvre encore la glace. En règle générale, on préfère la glace car les crampons y mordent bien, mais avec la neige il faut fréquemment taper ses pieds sur le piolet pour faire tomber la neige qui se colle sous les crampons et les rend inefficaces. A l’approche du couloir (le petit trait rouge sur la photo ci-dessus) je suis en position de “second” c’est à dire que c’est moi qui descends devant, et le “premier” est plus haut au-dessus de moi. Dans un couloir comme celui-là il faut être vigilant, la moindre glissade de l’un ou de l’autre est difficile à enrayer si on ne réagit pas immédiatement.

Vu la pente, la progression se fait “l’un après l’autre”, le premier assure le second qui descend sous lui, et le second fait de même lorsque le premier le rejoint. Chacun sait ce qu’il a à faire, il suffit de rester concentré et attentif. En principe.

Je termine tout juste la première longueur, et je me prépare à installer l’assurance pour faire descendre mon premier, quand en me retournant je constate qu’il a commencé à avancer en même temps que moi. Donc sans assurance. Il a déjà dû bien avancer vu les anneaux de corde qu’il a dans la main, et je ne suis pas en position de l’assurer si besoin. Le temps de réaliser la situation, une plaque de neige se décroche sous ses pieds, et il commence à glisser vers moi. Je me précipite, enfonce mon piolet dans la neige jusqu’à la panne, passe un mousqueton d’assurance et commence à “avaler” les 40m de corde qui nous relient. Pendant ce temps, l’autre prend de la vitesse, il est déjà à ma hauteur. J’avale aussi vite que je peux et je me couche sur mon piolet en présumant de la suite. Mais quand la corde se tend, le choc arrache le piolet et m’emporte à mon tour dans la pente. Je prends de suite de la vitesse, et “redouble” mon premier qui tente la même opération que moi pour stopper le mouvement, mais avec le même résultat; le choc l’entraine, et le voilà qui me redouble…

Je comprends que la situation est sérieuse et que l’on ne réussira pas à s’arrêter. A ce moment là, je suis sur le dos, et je glisse comme une luge dans une pente de 45º. Voilà ce que je vois dans mon champ de vision (incroyable, mais j’ai trouvé cette photo du couloir qui montre exactement ce que je voyais, ces images sont tellement gravées dans ma mémoire ! seule la pente n’est pas bien rendue car la photo est prise dans l’axe de la descente):

La grande glissade dans le couloir…

Etonnamment, la lucidité reprend le dessus, je vois que je me dirige tout droit vers ce becquet rocheux qui avance vers le milieu du couloir. J’anticipe le choc. Je me débarrasse de mon piolet (c’est ce qu’on apprend à faire pour éviter de se le planter dans le thorax). Je suis toujours sur le dos, les jambes pliées, de sorte que mes pieds vont taper les premiers sur le rocher. Tout cela se passe à une vitesse bien plus grande que le récit. Mes pieds entrent en contact avec le rocher, et le choc me propulse en l’air me faisant sauter les rochers sur ma droite. Je retombe un peu plus bas dans le couloir (qui par chance marque un léger virage vers la droite), et je reprends ma glissade infernale. De temps en temps la corde me tire et me relance, puis je reprends ma glissade solitaire jusqu’à ce que la corde se tendant j’entraine l’autre à nouveau, etc. etc.

Je pense à un moment que cela ne va jamais s’arrêter, cette glissade est interminable. Et puis je me dis que l’arrêt va probablement être brutal, et que ça risque de faire mal…

Quand soudain… je m’immobilise. J’ai la tête plantée dans la neige. Je ne bouge pas. Je me demande même où je suis. Je ne bouge toujours pas. Autour de moi, le silence. Je pense aux victimes d’avalanche. Cela semble durer une éternité. (la fin de la glissade se situe sur la petite croix rouge sur la photo, tout en bas).

Et puis… des voix étouffées, puis des cris. Une voix m’appelle, puis plusieurs voix. Les guides, puis les autres cordées nous rejoignent les uns après les autres. Je tente de parler, de bouger, mais je ne peux pas. Je pèse une tonne. J’ai de la neige de partout, sous ma veste, sous mon pull, même directement sur la peau. On m’aide à me sortir de là. J’étais enseveli sous la neige. Je m’assois doucement. Apparemment, rien de cassé. Je demande où est mon compagnon de cordée, il est là à quelques mètres, dans le même état que moi. Miraculeusement, nous sommes choqués, sonnés, groggys, mais entiers ! En fait, au bas des couloirs, quand la pente devient moins forte, la neige s’accumule et constitue des gros tas. Nous nous sommes plantés là-dedans, ce qui nous a arrêtés “en douceur”.

Le retour jusqu’au centre (il nous restait une heure environ) se fera tranquillement. Après une bonne douche, j’ai l’impression d’avoir été roué de coups… Tout le monde est autour de nous, on nous demande ce qu’il s’est passé. Je raconte cette histoire qui n’est jamais sortie de ma mémoire depuis 40 ans ! Tous les détails sont toujours aussi présents que si cela s’était passé hier !

Après un debriefing technique par nos instructeurs, la soirée se terminera néanmoins avec le sourire: on nous annonce que nous avons battu le record de la descente du couloir !

Ironie du sort, le programme du lendemain était consacré à… des exercices d’assurance dynamique sur glacier. Des simulations de situations réalistes, avec l’un d’entre nous jouant le rôle de celui qui dévisse. J’avais juste commencé l’entrainement avec un peu d’avance ! Mais le programme resta inchangé, notre chute de la veille fut même pour nos instructeurs une parfaite illustration des conséquences d’une erreur d’assurance.

Ci-dessous quelques photos du type d’exercices effectués. Ici, les différentes façons de franchir une rimaye (c’est à dire la cassure qui sépare un glacier de son névé sur la pente supérieure):

Passage de rimaye: 1) en sautant
2) descente simple
3) descente en rappel.

Les jours suivants, le stage continua en haute montagne, nous avons passé trois jours en autarcie au refuge de la Pilatte d’où nous allions réaliser plusieurs ascensions, dont la plus difficile du séjour, la face Nord du Mont Gioberney (3351m) par la voie du mur de glace.

Face Nord du Gioberney, la voie du mur de glace

Une sacrée ambiance dans le mur. Comme le montre la photo, la pente est sérieuse.

Au pied du mur !

Il faut régulièrement poser des broches dans la glace pour l’assurance des “premiers”. Très grosse concentration, on parle peu sauf pour des indications techniques, chacun ayant en mémoire l’erreur du premier jour, qui ici serait probablement fatale…

Tout se passera bien, et je garde un beau souvenir de la sortie de la face, en particulier des premiers rayons de soleil au sommet, et de la vue imprenable sur la barre des Ecrins. C’est aussi un grand soulagement de sortir de ce genre de voie où la tension est extrême. Au sommet, chacun se congratule, la joie est manifeste.

Ce stage, qui aurait pu très mal se terminer, restera un bon souvenir. J’y ai beaucoup appris, sur des tas de plans, d’abord sur moi-même et bien sûr sur la conduite de courses de glace difficiles et exposées. Je rentrais donc avec un large sourire, mais plutôt intransigeant sur les consignes de sécurité.

Fin de stage sur le Mont Gioberney. Quelle belle fin !

Deux mois plus tard, j’étais prêt pour retourner en montagne avec mon père. Nous nous retrouvions au même camping que trois ans plus tôt, lorsque nous étions allés au Mont-Blanc. J’avais décidé de lui offrir une belle course mixte, une classique des Alpes: la traversée des Dômes de Miage. Une course longue (5h pour monter au refuge, et 10h le lendemain pour effectuer toute la traversée et redescendre dans la vallée) mais dans un cadre magnifique. Que demander de plus ?

Il y avait quand même deux difficultés à surmonter:
1) la montée au refuge, qui est considérée comme l’une des plus dures du massif, une course en soi, avec une arrivée au refuge “délicate”
2) le départ de nuit depuis le refuge car il faut trouver son chemin sur le glacier de Tré-la-Tête qui est très crevassé

Le premier jour, depuis les Contamines, il faut d’abord monter au refuge de Tré-la-Tête. De là, le chemin jusqu’au refuge des Conscrits (2730m) est exigeant. [A noter que cela est assez différent aujourd’hui – voir actualisation en fin d’article]. Il faut d’abord s’élever jusqu’à rejoindre la moraine du glacier de Trè-la-Tête par un chemin en lacets assez raide, puis prendre pied sur le glacier proprement dit. A ce stade, nul besoin de chausser les crampons car la glace est recouverte de pierres qui ne cessent de tomber des parois rocheuses qui encadrent le glacier. L’itinéraire se poursuit sur le glacier jusqu’à une gorge qu’il va falloir escalader sur la rive droite du glacier.

Ce passage est appelé “le mauvais pas”, ce qui en donne déjà une bonne idée. Il faut sortir la corde, garder son casque sur la tête, et “tirer” deux longueurs dans une paroi assez abrupte, pour prendre pied sur la plateforme supérieure qui conduit au refuge. A cet endroit là, on surplombe le glacier qui est magnifique:

Le glacier de Trè-la-Tête

Le refuge se trouve un plus haut, tout au bord du glacier. A l’époque, le refuge était d’un confort très sommaire, on disait même le “refuge-cabane”:

Le refuge-cabane des Conscrits (2730m)

Cette montée au refuge d’environ 5 heures est donc assez physique. Mon père accuse un peu le coup dans la soirée, j’espère que tout ira bien le lendemain.

Après un repas aussi rapide que frugal, ici pas de soupe chaude… j’en profite pour aller prendre des repères sur le glacier pour le lendemain matin. La difficulté avec la traversée des glaciers c’est qu’ils sont différents au fil de la saison, plus ou moins ouverts, plus ou moins recouverts de neige, de pierres, plus ou moins stables. Les topos donnent les directions générales, mais ce n’est que sur place que l’on découvre l’état de la glace, la présence ou non de ponts de neige, et donc l’itinéraire le plus sécurisant à suivre.

En gros il y a deux itinéraires pour rejoindre le col des Dômes (3564m) à partir duquel il suffira de suivre l’arête vers les quatre Dômes – Sommet 1 (3630m), Sommet 2 (3665m), Sommet 3 (3669m), Sommet 4 (3564m) – et de finir la traversée jusqu’à l’Aiguille de la Bérangère (3425m). Depuis le refuge, on peut donc passer par la rive gauche du glacier qui évite la partie centrale, très crevassée, pour traverser le glacier un peu plus haut en direction du col des Dômes, une zone moins crevassée. Ou bien, partir directement par le glacier et prendre le chemin le plus court jusqu’au col.

Au vu de l’état du glacier, pas de neige, une glace bien bleue, solide, et des crevasses très ouvertes donc visibles et sans surprise, je décide de prendre l’itinéraire le plus court, et de partir par le glacier. Je sens mon père un peu réservé mais il dit me faire confiance. Depuis le Mont-Blanc, nos relations sont différentes, et c’est étonnant pour le jeune adulte que je suis de sentir que les choses s’inversent d’une certaine manière, que la confiance aveugle en son père s’est transformée en celle du père envers son fils. A cet instant j’ai l’impression de grandir encore un peu.

Avec la carte détaillée du secteur et le topo, je repère l’itinéraire que je veux suivre et prends quelques repères pour le lendemain. Nous avons prévu de partir vers 4h, et la nuit sera encore relativement noire puisque seulement un dernier quartier de Lune éclairera le glacier. Il faut donc savoir où mettre les pieds sans tergiverser.

Au refuge, trois autres cordées vont aussi faire les Dômes de Miage. Mais comme souvent dans les refuges, personne ne donne d’indications ni de l’heure à laquelle il part, ni de l’itinéraire qu’il va suivre. Et c’est toujours une scène assez cocasse le lendemain matin, de voir les cordées attendre que la première démarre pour la suivre.

Le refuge étant petit et tout le monde dormant dans le même dortoir, dès que le premier est levé, tout le monde est sur le pont ! Donc à 4h tout le monde est fin prêt, et comme je le prévoyais, tout le monde attend que la première cordée parte. Je me marre intérieurement, et dès que mon père est prêt, je m’engage dans la direction repérée la veille au soir. Nous sommes donc les premiers à partir.

Comme prévu, je me dirige vers la partie centrale du glacier, “pleine piste”. La marche sur glacier, de nuit, est toujours un peu étrange. C’est surtout une affaire de bruits: celui de l’eau qui coule sous la glace, et celui des crampons qui crissent sur la glace dure. En tout cas, bonne nouvelle, la nuit a été froide car les crampons mordent franchement. Les premières grosses crevasses se présentent. Aucune difficulté pour les contourner tellement elles sont visibles dans la lumière de ma frontale. Au bout d’un moment, je me retourne et je vois des frontales sur la rive gauche, donc plus haut que nous. Les autres ont finalement décidé de prendre l’autre itinéraire. Ils n’ont pas dû aimer le mien !

Une heure plus tard, nous sortons de la partie crevassée du glacier. Nous sommes en droite ligne vers le col que je vois sur la gauche au-dessus de nous. Les premières lueurs viennent colorer l’horizon:

Le jour se lève sur la partie supérieure du glacier

A cet endroit le glacier est assez fermé, la progression est donc plus rapide. Et puis avec l’arrivée du jour, nous prenons rapidement de l’altitude. Le pente se redresse, mon père souffle. Je ralentis le pas car avec ce départ, nous ne sommes pas en retard.

Direction le col des Dômes

Plus bas, nous apercevons les cordées qui étaient avec nous au refuge hier soir et qui commencent seulement à traverser le glacier. Je suis content de mon choix, nous avons économisé au bas mot une heure de marche.

Les autres cordées sur le glacier

La pente devient plus raide, nous approchons les 3500m, le col est tout proche mais nous sommes toujours dans l’ombre. Et puis soudain, la récompense:

Le premier sommet depuis le col des Dômes

Nous voilà en plein soleil levant, et devant nous cette arête magnifique que nous allons suivre pendant près de quatre heures. Sur 360º le paysage est incroyable. Du col, deux traces sont bien marquées: à gauche, celle qui va vers les Dômes de Miage, et à droite celle qui va vers l’aiguille de Bionnassay et le Mont-Blanc.

Aiguilles du Goûter et de Bionnassay, et l’arête des Bosses jusqu’au Mont-Blanc

Nous allons laisser derrière nous notre itinéraire d’il y a 3 ans ! Mais quel plaisir de le revoir. Nous prenons le temps de le suivre des yeux. Sur la trace en direction des Dômes de Miage, je vois quelques cordées qui ont un peu d’avance sur nous. Ils ont dû dormir au refuge de Tête-Rousse, au pied de l’Aiguille du Goûter.

C’est aussi un peu pour ça que je voulais faire cette traversée qui est presque dans la continuité du Mont-Blanc: en redescendant il aurait fallu bifurquer vers l’Aiguille de Bionnassay au lieu de descendre l’Aiguille du Goûter et nous nous serions retrouvés au col des Dômes, précisément là où nous nous trouvons. Itinéraire de rêve.

Mais ce qui nous attend est aussi très beau. Marcher sur cette arête est un vrai plaisir, les pentes y sont raisonnables, puisque nous allons passer 4 heures entre 3563m et 3669m sur ce magnifique toboggan, mais le bonheur d’être là est indescriptible.

Les Dômes I et II depuis le col
Le grand toboggan
Petite pause, en arrière-plan toujours le Mont-Blanc !

En revoyant ces photos, je remarque le large sourire sur le visage de mon père. Il a l’air tout simplement heureux. Cet environnement, c’est tout ce qu’il aime. A plusieurs reprises, il me dit d’ailleurs la beauté de cette arête.

Les sommets s’enchainent. Nous voici déjà en vue du troisième, le plus haut (3669m). La trace devient étroite et aérienne. Nous rattrapons quelques cordées qui marquent le pas à la vue de ce “fil” sur lequel il va falloir se lancer.

On approche du 3ème sommet, embouteillage sur l’arête !

On en profite pour faire une autre pause après la descente délicate du 2ème dôme . Le sourire est toujours le même.

Pause après avoir redescendu le 2ème sommet

Les mots manquent. La traversée de ces quatre Dômes est un vrai régal. Les yeux sont sans cesse accrochés par les joyaux qui nous entourent.

Et puis, devant nous, voilà enfin l’aiguille de la Bérangère, le 5ème sommet de la journée.

l’Aiguille de la Bérangère

Il va falloir escalader ces quelques rochers sans quitter nos crampons, car la neige et la glace ne sont jamais très loin, ce que mon père n’aime guère. Mais au sommet la tension de ces derniers mètres retombe. Soudain le soleil nous parait plus chaud. Nous sommes seuls au sommet, seuls au monde, le silence est puissant. Nos yeux balayent les vallées que nous dominons: d’un côté les vertes vallées en mode estival, et de l’autre les vallées glaciaires dans leur robe blanche. La juxtaposition des deux univers est étonnante.

Haute-Montagne et vertes vallées !

Sur notre gauche, nous voyons le parcours accompli et le 4ème sommet des Dômes d’où nous venons. Et puis au fond là-bas, toujours le Mont-Blanc, impérial !

Le sommet 4 sur la gauche au premier plan, et le Mont-Blanc au fond

Mais surtout, juste en-dessous de nous, une longue langue de glace attire l’oeil: le glacier de Trè-la-Tête se découvre dans sa totalité et nous rappelle le chemin parcouru. Après l’avoir remonté entièrement depuis hier, puis traversé pour rejoindre le col et l’arête, c’est la première fois que nous le voyons dans son intégralité. De là où nous sommes, nous avons même l’impression de le survoler !

Vol au dessus du glacier !

On voit bien les gros séracs sur la droite du glacier, le refuge est légèrement en retrait, c’est là que nous nous trouvions ce matin !

Au sommet de la Bérangère.

Il nous aura fallu 7 heures depuis le refuge pour arriver au sommet de la Bérangère. Il en faudra encore trois de plus pour redescendre dans la vallée. C’est le plus pénible qui nous attend. En montagne, contrairement à ce que beaucoup pensent, les descentes sont plus fatigantes que les montées ! Quinze heures d’effort sur les deux jours, mais un plaisir qui nous a portés tout le long.

C’était le 14 août 1979. Superbe!

Actualisation (2019) – Aujourd’hui la première partie de l’itinéraire, la montée au refuge, est complètement différente. Quelques années après notre passage, des échelles fixes ont d’abord été installées pour sécuriser le “mauvais pas”. Puis des câbles également. Mais comme à l’Aiguille du Goûter, les accidents se sont néanmoins multipliés…

Alors, dans les années 90 il a été décidé de construire un “vrai” et nouveau refuge des Conscrits. Mais un peu plus bas pour éviter ce mauvais secteur. Le nouveau refuge est à 2580m, au lieu de 2730m pour l’ancien. Il est bien plus grand et plus moderne:

L’ancien refuge, celui que nous avons utilisé en 1979, a été démonté en 1995.

Mais l’autre changement majeur peut se remarquer sur la photo ci-dessus. On voit que le glacier devant le refuge… a disparu ! Plus exactement, le réchauffement climatique a fait qu’en 40 ans le glacier a nettement reculé… En conséquence, le chemin d’accès au refuge, qui empruntait le glacier, se retrouve dans le fond de la gorge puisque il n’y a plus de glace. D’autant plus que le nouveau refuge est plus bas en altitude que l’ancien. L’accès au nouveau refuge nécessitait donc une escalade des parois encore plus longue et dangereuse qu’il y a 40 ans.

La solution a été apportée en 2012 avec la mise en place d’une passerelle suspendue qui permet de prendre pied directement sur la plateforme supérieure où se trouve le refuge.

On voit bien en contrebas de la passerelle, l’absence de glace, et du coup la gorge profonde que cela a créée.

Je dois dire que le net recul de ce glacier magnifique me désole profondément. Et certains prétendent toujours qu’il n’y a pas de problème…

J’imagine que la merveilleuse vue du glacier que nous avons admirée depuis le sommet de l’Aiguille de la Bérangère doit être aujourd’hui bien différente. Je préfère ne pas y retourner pour vérifier…

jp

le rêve blanc

C’est l’histoire d’un père qui rêvait d’air pur, de silence, d’altitude, en un mot de montagne. S’il avait rêvé de mer ou d’océan, l’histoire aurait sans doute été différente, mais lui aimait lever les yeux, là-haut, vers ce qui semble souvent infranchissable. D’ailleurs, la nuit venue, n’aimait-il pas aussi observer le ciel étoilé, se transporter loin dans l’univers, vers des galaxies aussi lointaines qu’inaccessibles ?

Au fil des années, les vacances familiales d’été se sont donc conjuguées en montagne, principalement en Savoie. Des sorties familiales en moyenne montagne, dans les alpages, parfois au-dessus des 2000m, qui avaient déjà le goût de petites aventures, surtout si nous passions la nuit sous la tente. Mais le soir venu, la lecture préférée de notre père était celle d’une collection de topo-guides du massif des Alpes: Beaufortain, Grand-Paradis, Ecrins, sans oublier bien sûr le massif du Mont-Blanc. A force de lire les descriptions des différentes voies “normales” des principaux sommets des Alpes, il les connaissait presque par coeur et s’était convaincu que toutes étaient “faisables”. Mais nous étions jeunes et pas vraiment équipés pour nous lancer dans ce genre d’aventures avec lui. Pour le moment, on se contentait donc de lécher les vitrines des magasins de sport, étudiant les formes des différents piolets, crampons à glace, et autres chaussures de montagne. Le summum était bien sûr de passer la journée à Chamonix, car outre la débauche de magasins de matériel de montagne, on pouvait également profiter de ce paysage toute la journée:

De droite à gauche, l’aiguille du Goûter, le Dôme du Goûter et le Mont-Blanc

Quelques années plus tard, nous avions grandis. Et notre père comptait bien passer à la vitesse supérieure ! L’été 1970, on m’avait offert un stage UCPA aux Contamines. Deux semaines de perfectionnement en montagne, avec au programme des courses dont le seul nom faisait briller les yeux de mon père, en particulier l’arête sud de l’Aiguille du Midi (3842m), et le Mont-Blanc du Tacul (4248m). Ce stage m’apprit beaucoup de choses et me fit surtout découvrir la haute montagne. Ambiance complètement différente de nos sorties familiales, des courses beaucoup plus longues et nécessitant un apprentissage préalable des techniques de neige et glace. Au retour je comprends l’attente de mon père que je transmette ce que j’ai appris.

Mais les années qui suivirent, la cordée que nous formions avec mon frère et mon père ne put pas se réunir très souvent. Mon frère en classe prépa, moi étudiant à Lyon, les vacances prises tous ensemble deviennent rares. Et puis en 1973, je termine mes études et trouve du travail à Paris. Mon père, lui, part pour son expédition astronomique en Mauritanie. Il faudra donc attendre 1975 pour que notre cordée se reforme en Vanoise. Comme promis, j’organise quelques exercices de marche en crampons à glace, utilisation du piolet et pose des broches à glace et, après quelques autres sommets, nous nous lançons à l’assaut du plus haut sommet du massif: la Grande Casse (3855m). C’est la seule course du massif qui s’apparente à ce que l’on trouve dans le massif du Mont-Blanc: départ de nuit, pentes de glace raides (plus de 40º), altitude. La course se déroule bien. Et dès le retour au refuge, un sujet déjà récurrent revient vite dans les discussions: le Mont-Blanc !

J’avais compris depuis un moment, mais j’avoue que, au fond de moi, je suis un peu partagé. Bien sûr, quel alpiniste amateur ne rêve pas d’aller au sommet du Mont-Blanc ? Il est facile de répondre à cette question. Mais si le Mont-Blanc est une course relativement facile techniquement, c’est une course très longue, qui demande deux jours d’effort, et à des altitudes largement au-dessus des 4000m. Il faut donc une excellente condition physique, et une certaine habitude de la haute montagne. Mon père n’a aucune des deux. Il ne fait jamais de sport dans l’année, et fume beaucoup. Mais il est vrai qu’en dépit de ça, ce qu’il réalise en montagne l’été venu est tout simplement incroyable ! Lui se sent donc tout à fait capable. Mon frère et moi essayons de modérer son enthousiasme, mais le projet est bel et bien inscrit à l’ordre du jour. L’été 1976 sera donc celui du Mont-Blanc.

Début juillet, on se retrouve donc tous aux Contamines. Au programme: quelques courses de préparation, entrainement sur glace, et répétition des gestes qu’il faudra effectuer sans hésitation jusqu’à 4810m. Seul le temps n’est pas vraiment au rendez-vous… les trois courses d’entrainement se soldent toutes par des échecs, et principalement à cause de la météo. Ce qui me tracasse un peu c’est que parfois nous avons dû aussi faire demi-tour à cause du retard pris dans l’itinéraire. En effet, la clé en montagne, surtout pour des courses de neige et glace, est de respecter des temps de passage avant que la neige et la glace ne deviennent dangereuses. Sur l’arête des Bosses, en direction du Mont-Blanc, entre 4300m et 4800m ce sera encore plus critique. Il est évident que la condition physique de notre cordée n’est pas très homogène, et cela me travaille un peu le soir venu.

Et puis, un beau matin, Jean-Pierre nous rejoint. C’est un bon copain de mes parents, un ami même, et presque un membre de la famille tant nous nous connaissons depuis longtemps. Jean-Pierre est un amoureux de la montagne, un peu plus jeune que notre père, et un peu plus sportif aussi car pratiquant le ski de randonnée et quelques courses en montagne au fil de l’année. Nous sommes ravis de le retrouver, et réciproquement. Mais évidemment, le Mont-Blanc est la raison majeure de sa venue. La première soirée au camping nous ne parlons que de ça. On tire des plans, on échafaude des stratégies. Les prévisions météo ne sont toujours pas fameuses, et le temps des vacances n’est pas extensible; il faut donc décider d’une date de départ et espérer que les cieux soient avec nous. Après moult discussions, nous fixons la date du 13 juillet pour monter au refuge du Goûter. Une fois là-haut (3815m) il faudra croiser les doigts et espérer que le ciel soit avec nous le 14 car ce sera notre seule tentative possible.

Pour gagner un peu de temps nous décidons d’emprunter le TMB (Tramway du Mont Blanc) un petit train à crémaillère qui relie St Gervais (580m) à la gare du Nid d’Aigle (2372m) au pied du glacier de Bionnassay. Le 13 juillet, le temps est maussade, et les sommets dans la brume. Cela nous conforte encore plus que l’option TMB est la meilleure car il va falloir rejoindre le refuge du Goûter le plus vite possible. Une fois au Nid d’Aigle, l’itinéraire consiste à rejoindre d’abord le refuge de Tête Rousse sur le glacier de Bionnassay, puis de continuer par l’ascension de l’Aiguille du Goûter, au total il faut compter environ 4h.

Le Tramway du Mont Blanc arrive au Nid d’Aigle.

Lorsque nous nous installons dans le TMB avec nos lourds sacs, nous avons conscience d’être au point de départ de quelque chose qui pourrait être une aventure inoubliable. Excitation et concentration sont de mise. Le train s’ébranle doucement et bruyamment, et nous voilà assez rapidement au-dessus de la vallée. Les rampes se succèdent, des petits tunnels, et puis lorsque la pente devient extrême les sections à crémaillère nous donnent l’impression d’être suspendus à un fil qui nous tire irrémédiablement vers le haut de la montagne. Au bout de la cinquième section à crémaillère, et après 1h15 de trajet, nous débouchons dans la gare du Nid d’Aigle. Le train se vide de tous ses alpinistes. Comme un seul homme, tous lèvent les yeux vers les montagnes, et commentent la même chose: l’Aiguille du Goûter est invisible ! le plafond nuageux dévoile tout juste le bas de la face que nous allons devoir gravir.

Les sacs rejoignent rapidement nos dos, et nous voilà partis, les yeux rivés vers cette Aiguille qui se cache, et l’esprit soucieux de devoir escalader cette face dans ces conditions. Le sentier du refuge de Tête Rousse est très vite raide, ce qui réduit au silence. Chacun trouve son pas et chemine dans ses pensées.

Au dessus du Nid d’Aigle
L’Aiguille du Goûter dans la brume.

Nous prenons rapidement de la hauteur. Le brouillard s’enroule autour de nous, puis s’envole, laissant filtrer quelques rayons de soleil, pour s’abattre à nouveau plus épais. Je vérifie régulièrement notre allure, tout va bien.

Les premiers névés
Par moment le brouillard se déchire
Nous gagnons rapidement de l’altitude

Soudain, lorsque nous atteignons la moraine du glacier de Bionnassay, le ciel s’obscurcit vraiment, on se croirait en hiver, et nous craignons même un orage. Nous laissons le refuge de Tête Rousse pour filer directement vers le couloir qui descend du sommet de la pyramide que constitue l’Aiguille du Goûter. Ce couloir est le plus meurtrier du massif, les chutes de pierre y sont permanentes, il ne faut donc ne pas s’éterniser dans le secteur et avoir toujours un oeil vers le haut quand on le traverse. Heureusement pour nous, les chutes de neige de la nuit précédente ont “platré” la face. Les pierres ne tombent quasiment pas, du moins tant que le soleil ne fera pas fondre la neige. Une chance mais il vaut mieux accélérer le pas.

Sur le glacier de Bionnassay
Le sentier fait place à des blocs.
On approche de la base de l’Aiguille du Goûter
Traversée du couloir de l’Aiguille du Goûter.

Une fois le couloir traversé, nous attaquons l’ascension proprement dite de l’Aiguille du Goûter. Un vague sentier au début puis des blocs qu’il faut escalader. Le balisage de la voie est quasi inexistant à cause de la neige tombée la nuit précédente. Il faut être vigilant, surtout que le sommet est toujours dans le brouillard rendant l’orientation difficile.

Début de l’ascension de l’Aiguille, au dessus de 3000m
Le brouillard joue avec nous
Dans la face, un rayon de soleil !

Au dessus des 3500m, la température diminue assez radicalement, les mains se raidissent dans la neige qui recouvre les rochers. L’ambiance est néanmoins feutrée, on arrive à se parler même d’assez loin. Je m’arrête régulièrement pour vérifier que tout le monde suit l’itinéraire et pour déterminer la direction à suivre. De temps en temps, quelques points de peinture rouge qui balisent l’itinéraire apparaissent sous la neige. Sinon, il faut guetter la moindre trouée dans le brouillard pour ne pas se laisser entrainer dans le mauvaise direction.

Le brouillard nous rattrape plus haut, le froid aussi…

Enfin, j’aperçois le sommet de l’Aiguille ! et j’entends même des voix, le refuge ne doit plus être très loin. C’est bien ça, quelques mètres plus haut j’aperçois la bâtisse argentée qui semble posée en équilibre au bord du vide. J’annonce la nouvelle aux autres en dessous. Bientôt leurs visages apparaissent sur la passerelle d’accès au refuge. Le souffle est court mais tout le monde est heureux d’avoir réussi la première étape de la mission ! Cette nuit nous dormirons à 3815m d’altitude, une première pour mes trois compagnons.

Au sortir du brouillard, le refuge du Goûter !

La chaleur du refuge est bienfaitrice. Petite collation, une assiette de soupe chaude, on se sent de suite mieux. La fréquentation du refuge est raisonnable, sans doute que le mauvais temps a dû en refroidir certains. En tout cas, excellente nouvelle, le gardien du refuge annonce du beau temps pour demain et il attend donc la grande foule dans la journée. Finalement, monter dans le mauvais temps nous aura permis d’éviter la foule et de faire notre ascension dans de meilleures conditions.

Après le repas, petite réunion pour décider du lendemain, heure de départ, comment s’équiper, comment former la/les cordée(s), etc. La journée qui nous attend est la plus difficile des deux : 1000m de dénivelé jusqu’au sommet, et puis 4000m de descente jusque dans la vallée, sans oublier la descente de l’Aiguille du Goûter et le franchissement du couloir sous les chutes de pierres…

Le départ est fixé à 4h. Si tout va bien, nous devrions atteindre le sommet vers les 8h, peu de temps après le lever de soleil. Le lever est donc fixé entre 3h et 3h30. Nous préparons le matériel, il faudra sortir du refuge tout équipé, lampe frontale, cordes, crampons, piolet en main, et il faudra être bien couvert car les températures annoncées après une nuit claire devraient atteindre les -15º à -20º. Il faut aussi décider de comment composer les cordées. A quatre, impossible de faire une seule cordée sur une corde de 40m, il faut donc faire deux cordées de deux. Je pensais à ça depuis avant le départ dans la vallée. Pas évident de trancher. Finalement, Jean-Pierre propose de faire une cordée avec Jean, il pense que leurs allures sont mieux compatibles, plutôt que de faire “un jeune et un moins jeune”, comme je l’envisageais. Je comprends mais j’espère que l’on pourra rester pas trop loin les uns des autres car au-delà de 4000m il devient difficile de s’attendre. Tout arrêt demande un gros effort à la reprise, effort dont l’intensité devient de plus en plus proportionnelle à l’altitude.

14 juillet 1976 – 4h du matin. Je pousse la porte du refuge et me retrouve brutalement dans l’obscurité. Il fait très froid, mais le ciel étoilé est magnifique ! Une belle journée nous attend.

Les crampons crissent sur la neige glacée

L’itinéraire est assez simple, direction le Dôme du Goûter à 4304m d’altitude. Grâce à la Lune, on le devine au-dessus du refuge. Peu avant le sommet du Dôme, sur lequel on ne va pas, on tire tout droit en direction de l’arête dite “des Bosses” qui conduit directement au sommet du Mont-Blanc. Un seul point de repère, le refuge Vallot à 4362m qui se situe au pied de l’arête.

L’itinéraire

Dans le noir, difficile de se reconnaitre, en me retournant je ne vois que des frontales, je ne vois donc pas où sont Jean et Jean-Pierre. La première heure est sans histoire, la pente est raide mais les crampons mordent la neige dure et l’altitude n’est pas encore un problème. Lorsqu’avec Christian nous atteignons le refuge Vallot, j’ai presque l’impression que le plus dur est fait. L’arête jusqu’au sommet est là devant nous. Il fait encore nuit, mais on voit l’horizon commencer à rougir.

Devant la simplicité de l’itinéraire, nous avions convenu de ne pas s’attendre, que chacun suive son rythme, et qu’on se retrouverait au sommet. Mais ne pas savoir où ils sont commence à m’obséder. Après 5-10 minutes d’arrêt au refuge Vallot sans les apercevoir, nous repartons. La pente dès le départ est extrêmement raide, je suis surpris. Et à 4300m d’altitude, l’essoufflement arrive vite. Tout de suite, mes jambes pèsent des tonnes, et le moindre effort me semble difficile. Je le savais pourtant, on n’aurait pas dû s’arrêter…

Le mur passé, on reprend notre marche régulière. Il devient de plus en plus difficile de se parler, à cause de l’essoufflement et d’un petit vent qui balaie l’arête.

Lever du soleil, au loin le cône d’ombre du Mont-Blanc

Lorsque le soleil se lève, les formes de la pénombre prennent vie. L’éperon rocheux sur le versant ouest se dresse dans le ciel. Et puis le chemin parcouru depuis le refuge Vallot nous apparait. On se dit que le plus dur est fait.

Christian au-dessus du refuge Vallot

Mais rien n’est moins sûr. J’avais lu dans les livres que la difficulté de l’arête des Bosses, outre sa pente, est le fait que chaque bosse semble être la dernière, mais qu’il y en a toujours une autre. Ce sentiment, fréquent en montagne, est ici décuplé car à 4500m, à 4600m, puis à 4700m cette impression s’amplifie encore avec le manque d’oxygène.

Depuis un moment je vois bien que nous dominons toutes les montagnes alentour, le sommet ne devrait plus être très loin !? mais le souffle se fait toujours plus court, chaque pas est une victoire.

L’arrête sommitale !

C’est la dernière défense du Mont-Blanc: l’arête sommitale, l’ultime épreuve pour avoir le droit de fouler le sommet. Tout d’un coup l’arrête se rétrécit, il n’y a guère plus de place que pour les deux pieds, et puis la pente de chaque versant est bien plus raide. En fait, cette forme “rondouillarde” que nous montre le Mont-Blanc depuis la vallée n’est pas la vraie, car on ne voit pas le sommet depuis Chamonix.

Je trouve le temps long, les cinquante derniers mètres me semblent interminables. On croise une cordée qui redescend, je ne peux m’empêcher de leur demander si le sommet est encore loin ? l’un me répond: “tu y es !” Et oui, nous y sommes, quelques pas de plus et la pente se redresse, au bout de cette fine arrête, je débouche enfin au sommet. Instantanément, mes yeux se remplissent de larmes. En quelques secondes, je pense à tous ces récits de conquête alpine que j’ai dévorés depuis mon adolescence. Je n’ai jamais ressenti une telle émotion en arrivant au sommet d’une montagne. On ne parle pas, on admire le panoramique qui nous entoure: des montagnes et des vallées à perte de vue, nous sommes bien sur le toit de l’Europe !

Christian au sommet

Et puis, deux pensées m’envahissent très vite: où sont Jean et Jean-Pierre ? pourvu qu’ils trouvent la force d’arriver jusqu’ici… et puis de suite après: il va falloir redescendre 4000m plus bas !

Une demi-heure passe et toujours personne, je commence à être sérieusement inquiet. Je traverse le sommet pour aller du côté de l’arête sommitale et essayer de les apercevoir.

Je guette Jean et Jean-Pierre

L’attente nous a paru interminable, mais une heure après notre arrivée, les voilà enfin ! Chapeau ! Nous sommes heureux et soulagés.

Jean et Jean-Pierre arrivent au sommet

Le froid qui paralyse les mâchoires, et la fatigue liée à l’effort font qu’on ne se parle quasiment pas. Seuls les sourires sur les visages traduisent le fond de nos pensées. On défile tous devant l’objectif.

Gagné !
Père et fils
Christian, Jean et Jean-Pierre

Un peu plus loin de nous, une cordée de deux est aussi en train d’admirer le panorama. L’un deux s’avance vers moi et me demande de les photographier. Ils ne parlent pas français, mais un petit drapeau sur leur sac me dit qu’ils sont polonais. Leur sourire éclatant en dit long sur leur plaisir d’être là. Une fois la photo faite, l’autre plonge sa main dans son sac, et en ressort une gourde qu’il me tend. Je la saisis volontiers car les nôtres n’ont pas résisté au froid et ne contiennent que des glaçons… Je bois et comprend immédiatement pourquoi le contenu de leur gourde n’est pas figé: ce n’est pas de l’eau, mais une sorte d’alcool blanc !

Du sommet, on voit les rayons du soleil se glisser dans toutes les vallées
Des montagnes à perte de vue

Les émotions passées, il faut se reconcentrer sur la longue descente qui nous attend. Je pense surtout à la descente de l’Aiguille du Goûter et aux chutes de pierres qui aujourd’hui seront à la fête avec ce beau soleil. Et puis, la fatigue aidant, la descente de l’arête avec des crampons aux pieds est délicate. Un dernier coup d’oeil, et nous voilà déjà dans la pente.

En montagne, l’ordre s’inverse à la descente, la cordée de Jean et Jean-Pierre part donc la première, suivi de Christian et moi. Etant le dernier, je peux m’assurer que tout se passe bien sans avoir besoin de me retourner. L’arête sommitale, la plus délicate à descendre, est déjà dernière nous.

Quelques minutes encore, et voilà le refuge Vallot juste en dessous de nous. La température remonte, les muscles se réchauffent aussi, mais c’est là qu’il faut redoubler de vigilance. Car nous voilà au sommet de la fameuse pente, la plus raide, celle où il ne faut pas que les pointes des crampons ne viennent s’accrocher avec l’autre pied, sous peine de se retrouver bien vite en bas. Je rappelle brièvement les règles à respecter, et que nous avions “révisées” avant le départ lors d’entrainements sur le glacier des Bossons. Chacun se concentre, et tout se passe bien. Nous voilà à 4300m, devant ce refuge que nous avions seulement aperçu dans la pénombre ce matin.

Le refuge-abri Vallot (4362m)

Une petite pause pour se décontracter les jambes, et nous nous lançons dans la descente vers le Dôme du Goûter. Les langues se délient, chacun commence à réaliser que c’est bien vrai: on l’a fait !

De retour de là-haut !

Une heure plus tard nous voilà au-dessus du refuge du Goûter, notre point de départ ce matin. Nous ouvrons grand les yeux car le soleil magnifie ce site merveilleux. C’est la récompense d’un départ de nuit, au retour on savoure le paysage.

L’Aiguille de Bionnassay, hier elle était dans le brouillard !

Voilà l’aiguille de Bionnassay, magnifique, d’une blancheur immaculée après les chutes de neige des derniers jours. Et puis, voici le refuge, retour à la case départ !

Le refuge du Goûter (3815m)

Déjà 1000m de descendus, mais il en reste 3000m jusque dans la vallée tout en bas ! Je propose que l’on ne s’attarde pas au refuge, car la dernière difficulté nous attend. Il va falloir affronter le couloir et ses chutes de pierres; et le plus tôt sera le mieux car le réchauffement dû au soleil, fait fondre la glace et libère les pierres.

Nous enfilons nos casques, et nous engageons dans la descente. Au début, c’est sans histoire, il faut simplement éviter la glace qui recouvre les blocs de rocher. Mais plusieurs cordées sont engagées dans la descente, et les pierres commencent à siffler autour de nous. Il faut surveiller de partout, il y a les pierres qui se détachent toutes seules au fur et à mesure que la glace fond, et celles que les autres cordées libèrent sous leur pied… la tension est palpable.

Et nous voilà à l’instant fatidique: le couloir de neige est là devant nous.

Localisation du couloir du Goûter

La largeur du couloir est d’environ 150m. Pour limiter les risques, il faut porter son casque, être encordé, et observer les chutes de pierres avant de s’engager pour bien localiser les endroits à risques, ceux où la plupart des pierres atterrissent. Puis il faut y aller, sans courir mais sans trainer, le regard vers le haut mais aussi devant ses pieds pour éviter la glissade dans la neige. C’est un exercice court mais nerveusement épuisant. Les pierres qui tombent sont de diverses tailles, des petites, beaucoup, mais lorsqu’elles viennent de 400m plus haut elles peuvent faire très mal, et des grosses, voire des gros blocs, qui se plantent généralement dans la neige, donc plus facile à anticiper.

Je suis tendu. Les pierres sifflent dans l’air. Et nos casques en accueillent quelques unes. Mais tout se passe bien, nous voilà de l’autre côté, soulagés !

Cette fois les grosses difficultés sont vraiment derrière nous. Nous traversons le glacier de Tête-Rousse, puis rattrapons le chemin qui redescend au Nid d’Aigle. Nous voilà au sec ! on charge nos sacs du matériel qui n’est plus nécessaire: crampons, piolets, cordes et casques, et on reprend quelques forces avant de se lancer dans la dernière partie de la grande descente. Le chemin nous parait facile mais la fatigue est bien présente. Les jambes sont lourdes, les pieds accrochent les pierres, la chaleur nous surprend aussi, on a l’impression de changer de climat.

Nous voilà au Nid d’Aigle, 2500m plus bas que le sommet. Nous ne voulons pas attendre un tramway, une seule chose nous obsède: descendre les quelques 2000m restants! La gare de départ, où la voiture nous attend est à 580m d’altitude, le chemin sera long. Pour la seule journée du 14, départ du refuge du Goûter à 4h, retour dans la vallée à 16h.

C’était le 14 juillet 1976, loin des fanfares et des défilés. Inoubliable !

jp

Actualisation (2019) – Ce que nous avons fait en 1976 n’est plus vraiment possible, en tout cas pas de la même manière. Ce qui a changé:

  • le refuge du Goûter a été reconstruit, il est beaucoup plus grand et un peu plus loin sur le sommet de l’Aiguille
Résultat de recherche d'images pour "refuge du gouter"
  • mais il n’est plus possible de monter au refuge sans réservation. Et il est de plus en plus difficile d’obtenir une réservation sans l’intermédiaire d’un guide. En conséquence certains “campent” sur le sommet de l’Aiguille du Goûter, ou bien dorment plus bas vers le refuge de Tête-Rousse, et montent au Mont-Blanc depuis là, ce qui allonge de beaucoup la montée et la rend plus dangereuse encore car il faut escalader l’Aiguille de nuit
  • l’Aiguille du Goûter a été équipé de câbles, mais ceux-ci sont maintenant en mauvais état (à cause des chutes de pierres) et sont remis en cause au profit d’ancrages de sécurité qui garderaient au lieu son aspect haute montagne. En effet la présence des câbles donne parfois l’impression aux touristes qu’ils peuvent s’y aventurer sans corde ni équipement. En 2018, 16 morts y ont été déplorés
  • certaines années la gendarmerie de haute montagne est présente aux abords du couloir et essaye de dissuader les alpinistes d’emprunter cet itinéraire à cause de sa dangerosité, et au vu de la fréquentation grandissante

Un voyage dans le temps


La Voie Lactée, et les nuages de Magellan – Nkasa Rupara, Namibie

Sous le tropique du Capricorne, l’astronome “du nord” perd ses repères. On ne reconnait plus, au premier coup d’oeil, le ciel. D’abord il y a ces grandes constellations boréales qui ne sont plus “à leur place” et surtout sens dessus dessous ! Il faut quelques minutes pour reconnaitre des astérismes connus: le Scorpion, les pinces vers le bas, la queue en direction du zénith, le Cygne sur l’horizon nord, et dont les ailes déployées semblent le faire plonger dans un océan invisible, et puis pas de Grande Ourse bien sûr. Ma première sortie nocturne sera étrange, je vois un ciel d’une pureté sans reproche, d’une transparence rarement observée, mais je peine à trouver des choses familières qui sont pourtant là, sous mes yeux.

A la tombée de la nuit, toujours brutale sous les tropiques, un point extrêmement lumineux        attire mon attention à l’ouest. Je pense à Vénus bien sûr, mais l’éclat de l’objet est tel que je doute qu’il provienne d’une planète. Un peu au-dessus, un autre objet extrêmement brillant continue de me perturber. Il me faudra ouvrir Stellarium pour constater qu’il s’agit bien de Vénus, et au-dessus de Jupiter ! Et puis, droit au-dessus de moi, au zénith, une boule bien rouge, c’est bien ça… il s’agit de Mars ! Les planètes semblent plus lumineuses que des étoiles. L’explication m’apparait soudain limpide: pour la première fois j’observe un ciel sans aucune pollution, lumineuse bien sûr (je suis au milieu de la savane) mais surtout atmosphérique. Ici pas de villes, pas d’usines, peu de monde (3 millions d’habitants pour une superficie 1,5 fois plus grande que la France), pas de climatisation ni appareil de chauffage, peu de circulation automobile sur des pistes où l’on croise deux voitures en trois heures de route. Le ciel est préservé de toute agression.  Je me dis avec émotion que ce ciel là devait être celui que nos ancêtres pouvaient voir au 18ème ou 19ème siècle dans l’hémisphère nord ! Constatation crue et cruelle de ce que nous avons fait de notre planète.

Une autre nuit, je me lève vers 2h, pour observer une autre partie du ciel, et surtout ces constellations australes que nous ne voyons jamais. Lorsque je sors, mon oeil est tout de suite attiré par deux étoiles très brillantes, assez proches l’une de l’autre. A nouveau je suis perdu… de quoi s’agit-il ? Il me faut un bon moment pour comprendre, et c’est la constellation juste au-dessus qui me donnera la réponse: je reconnais en effet Orion à l’envers, mais la ceinture ne laisse pas de doute, et puis surtout M42 parfaitement visible à l’oeil nu. Quel spectacle ! je ne l’ai même jamais vue comme ça au sommet du Restefond à 2800m d’altitude ! Et donc, les deux “phares” qui avaient attiré mon attention sont
Castor et Pollux ! les Gémeaux ont la tête sur l’horizon Est, et les pieds en l’air, vision incroyable.

Je continue ma découverte en me tournant en direction du nord. Voilà le Bouvier avec une Capella surbrillante encore, et puis le Taureau juste au-dessus, les Pléiades sont incroyablement lumineuses également. Et puis, voilà le grand carré de Pégase et… oh la galaxie d’Andromède ! Pourtant assez basse je la distingue nettement, je sors mes jumelles et la voilà entière dans mon champ de vision. Je jubile.

Je fais un tour d’horizon, je commence à comprendre le ciel du sud, je retrouve des repères connus: la Baleine tout là-haut dans le ciel, elle que l’on ne voit que très basse sur l’horizon sous nos latitudes. De la Baleine je descends vers le sud, dans une zone où je ne reconnais rien. Il me faudra une carte pour repérer l’Hydre, le Sextant, la Dorade, la Machine Pneumatique, la Boussole, la Carène, le Compas ou la Poupe. Une ambiance maritime qui nous rappelle que les premiers astronomes du sud étaient des navigateurs.  La Voie Lactée est aussi d’une luminosité extraordinaire, visible avec force détails dès la tombée de la nuit, avec des détails que seule l’astro-photographie nous montre dans le nord, comme le Grand Emeu, cette masse sombre qui ressemble à ce grand oiseau du sud couché.

Et puis voilà Hercule là-bas, comme un grand pantin désarticulé sur l’horizon, avec M13 bien visible à l’oeil nu, mais si pâle à côté d’Omega du Centaure, le roi des amas globulaires. Jour après jour, le ciel austral me devient familier, je trouve mes repères aussi vite que dans le nord, comme la Croix du Sud et Omega du Centaure.

Une fois le ciel “ordinaire” en place, et les constellations du sud repérées, je pars à la chasse aux curiosités du coin. A partir de la Croix du Sud, je croise le Caméléon, puis le Poisson Volant pour me retrouver dans la Dorade. Et ce nuage que je n’avais pas remarqué  au premier abord, mais oui voilà le Grand Nuage de Magellan ! et un peu plus loin, dans le Toucan, le Petit Nuage de Magellan. Ces galaxies naines, satellites de notre Voie Lactée, se détachent très bien sur le ciel namibien. Avec Andromède, ce sont donc trois magnifiques galaxies très nettement visibles à l’oeil nu !

J’ai passé trois semaines sous ce ciel, me délectant chaque soir de ce spectacle magique, et ne résistant pas à l’envie de le faire découvrir à mes compagnons de voyage. Il manque à ce récit un mot sur l’ambiance de ces observations. En première partie de nuit, dans les zones humides le long des grands fleuves du nord, ce sont les grenouilles “cloche” et leurs chants qui ressemblent à des airs de xylophone, qui vous accompagnent. Au milieu de la nuit, les grognements d’un hippopotame ou les rugissements des lionnes qui chassent sont toujours du plus bel effet (…). et puis sur le matin, les incroyables oiseaux du sud et leurs chants bruyants vous font sursauter et vous cassent vite les oreilles, sans oublier les courses folles des babouins dans les arbres !

Magnifique nature, de jour comme de nuit, et qui semble encore préservée de toutes les agressions que nous constatons dans l’hémisphère nord. Pour combien de temps ?

jp

 

 

 

 

 

 

 

 

Pas Pleurer

Parler de ses lectures, c’est déjà les aimer.

“Le style m’a de suite accroché, et puis le parallèle entre Bernanos et le souvenir de la mère de Lydia Salvaire m’intéressait en soi: d’abord parce que j’avais lu d’elle “Sept femmes”, sept portraits intimistes de femmes écrivains, dont la justesse et le ton passionné présageait quelque chose d’intéressant à propos de sa mère. Et puis, Bernanos; c’est un auteur que je n’ai jamais lu mais qui m’a toujours intrigué, depuis longtemps, ne serait-ce que par les commentaires que j’en ai lu/entendu ou les gens qui m’en ont parlé. Si je n’ai jamais franchi le pas c’est probablement à cause de la réputation “difficile” de son oeuvre. Mais, je vais maintenant lire “Les grands cimetières sous la lune” enfin! Il y avait donc pas mal de raisons pour moi de lire ce livre.

Depuis que je t’ai parlé du bouquin, un A-R à Paris en TGV m’a permis de le finir. Je peux donc te dire ce que j’en pense après coup. Je l’ai lu avec plaisir, quasiment d’une traite, preuve s’il en est que le style est agréable. La technique d’écriture est pourtant surprenante au premier abord, les dialogues en particulier, sans guillemets ni tirets, seule une majuscule au milieu d’une phrase qui vient signaler la parole dite. Par contre, les retours à la ligne impromptus pour suggérer la parole coupée par un autre personnage sont une belle idée je trouve. Bref, l’écriture est donc surprenante mais intéressante (c’est le deuxième livre que je lis en peu de temps dont la technique d’écriture est partie prenante de l’histoire – le “Charlotte” de David Foenkinos est époustouflant à cet égard).

La manière dont LS parle de sa mère ne m’a pas déçu, c’est dans la lignée de “Sept femmes” qu’elle a écrit un an auparavant, on y sent presque une continuité. Mais cette idée de mettre en parallèle ce que Bernanos découvre de pire dans cette révolution et le bonheur enfin exprimé de sa mère pour la même période est sublime. C’est donc également un essai sur la mémoire, ce que l’on est capable d’occulter pour ne retenir que l’important à nos yeux, les catalyseurs (une musique, un regard, un toucher) que l’on peut associer à nos souvenirs et qui les magnifient dans un sens comme dans l’autre. Cet exercice-là est inattendu et fascinant.”

jp

Mes Labyrinthes

C’est l’histoire d’un rêve.

Je me promène dans un lieu “professionnel”, une entreprise ou une organisation à la fonction mystérieuse, dans un bâtiment étrange. Le lieu est silencieux, pas un bruit. Je n’entends même pas mes pas. Un dédale de couloirs, d’escaliers étroits qui semblent aller nulle part. Une sorte de labyrinthe vertical et horizontal, tortueux, sinueux. Je monte, je descends, je tourne à gauche puis à droite, reconnais cet endroit où je suis passé il y a quelques minutes. Au détour d’une rampe d’escalier, ou du coude d’un couloir, j’aperçois une ombre, puis une silhouette, c’est une femme que je ne parviens pas à identifier. Mais je veux lui parler, je dois lui parler. J’accélère le pas, me rapproche d’elle, je ne vois toujours que son dos, il faut vraiment que je lui parle. Mais au moment de pouvoir enfin le faire, une autre femme surgit d’un autre escalier, son regard dur m’interdit le passage, elle ne dit rien mais je sens que je dois renoncer à parler. Je change alors de direction, remonte, tourne, redescend, aperçois une autre femme, tente encore de la rejoindre, de lui parler. Mais la maitresse des lieux impose son pouvoir. Il est interdit de parler avec quiconque. Je tourne en rond, ma quête se répète à l’infini.

Je me réveille, raconte ce rêve, dis que c’était comme un mouvement perpétuel. Je pense à  Sisyphe, ce héros de la mythologie grecque condamné pour avoir osé défier les Dieux à faire rouler éternellement un rocher au sommet d’une colline qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet. Je pense au Mythe de Sisyphe, ce pilier de la philosophie de l’absurde de Camus, la recherche de l’homme vaine de sens. Je dis à mon interlocuteur: c’était comme une obsession.

Obsession. Ce mot me bloque. J’arrête de parler. Une lueur traverse mon cerveau, comme une décharge électrique. Je ne parle plus. Mon interlocuteur me regarde étonné. Obsession. Je me souviens. Il y a presque onze ans, j’ai crée une série photographique dont le titre était “Obsession”. Mes yeux se troublent, se mouillent. Je raconte ces photos: un dédale de ruelles, d’escaliers, à la poursuite d’une femme dont je parviens tout juste à apercevoir le dos. Elle monte, descend, tourne à gauche, à droite. C’est mon rêve, mon labyrinthe. Ce sont mes labyrinthes, ceux de mon cerveau, de mon inconscient, de mon enfance. Les labyrinthes dans lesquels j’ai perdu ma mère.

jp

Obsession – Calvi, juillet 2006

Cet autre Moi

Il y a dix ans, comme une fulgurance, ces dix-huit images surgissaient de mon inconscient. Pourquoi “inconscient” ? Parce que je ne savais pas expliquer leur raison d’être ni leur signification, parce que j’avais l’étrange impression qu’une force intérieure me les avait “dictées”. Je les avais même “exécutées” avec rapidité et précision. Et comme je sentais en moi ce malaise de ne pas pouvoir expliquer ce qui avait guidé cette création, j’avais présenté cette série d’images comme une “réflexion sur la mémoire”; n’oubliant pas de préciser que cela n’avait rien à voir avec ma propre histoire, et qu’il s’agissait d’un simple point de départ pour “susciter une réflexion”.

Aujourd’hui, je les comprends enfin. Il m’aura fallu dix ans, et un travail sur moi-même pour percer le mystère de leur genèse. C’est bien un autre Moi qui parlait, qui m’expliquait ce  que je ne pouvais pas encore comprendre, qui me chuchotait qui j’étais vraiment. Mais qui suis-je ? Ce Moi dont je suis familier, ou cet autre Moi qui semble mieux me connaitre ? Probablement les deux. Les réconcilier est la clé de ma paix intérieure.

jp