Voyage vers le pôle galactique

Crainte et détermination.

Toute la journée de ce 22 janvier, la nuit était prévue claire. Ce n’est que vers 18h que je commençais à m’inquiéter : l’hygromètre grimpait anormalement malgré l’absence de prévision de précipitations. J’avais prévu une sortie aux alentours de 23h30, pour laisser le temps à la Lune de se coucher. Et justement à 23h l’hygromètre affichait 62%… je faisais clairement la tête, normalement dans de pareilles circonstances ça devrait rester aux alentours de 40%… J’hésite, et puis finalement à 23h30 je passe ma combinaison de cosmonaute, il est hors de question que je ne sois pas dehors en cette nuit du 23 janvier ! D’autant que le ciel semble très attirant. Il fait froid, -7° devant chez moi. Je charge la voiture. C’est parti !

Je suis vite arrivé, vous connaissez l’endroit où je m’arrête. En sortant de la voiture la neige crisse au premier pas, je souris de plaisir. Le thermomètre affiche -10°. Altitude 1765m. Je regarde le ciel la tête en arrière. Doucement je tourne sur moi-même, je suis au centre de l’univers! Je fais plusieurs tours au risque de me faire tourner la tête. Les constellations défilent devant mes yeux, comme défilait le paysage sur le manège de mon enfance. J’entends des rires, et mon cœur battre. Le manège s’arrête en douceur, je cherche la voiture des yeux.

Je sors le matériel, et l’installe calmement. Une petite bise me caresse la nuque, elle me dit que je vais avoir froid à un moment donné… Le windchill doit donner du -12° au bas mot. Minuit. Je prends la température du ciel en trois endroits : M31 au nord-ouest, presque couchée, M42 sud-ouest, bien basse, et la nébuleuse de l’Eskimo, haute et plein sud. Mes craintes liés à l’humidité se confirment : M31 est tristounette, M42 un peu éteinte, et l’Eskimo qui devrait pourtant aimer cette nuit glaciale est aussi un peu en retrait par rapport à ma dernière sortie, même si je vois son étoile centrale. Je constate tout ça, mais cela n’affecte ni ma détermination ni le programme que j’ai prévu. Il est des nuits où les choses sont simples et les envies plus fortes que tout.

Un voyage galactique.

Cette nuit je l’ai voulu essentiellement galactique, je vais suivre un chemin qui va m’emmener du Lynx jusqu’au Lion en passant par la Grande Ourse, les Chiens de Chasse, la Chevelure de Bérénice, et bien sûr la Vierge et son fantastique amas de galaxies. En route je passerai par le pôle nord galactique dans la Chevelure de Bérénice, ce point essentiel dans le système de coordonnées galactiques qui prend en compte la rotation de notre galaxie sur elle-même. Pourquoi ce choix ? Pour des raisons à la fois esthétiques et sentimentales : esthétiques parce que la vision d’une galaxie reste pour moi un spectacle sublime, d’une finesse et d’une force exceptionnelles ; sentimentales aussi parce que j’ai grandi auprès d’un père qui a passé sa trop courte vie à observer les galaxies, à les surveiller, à les écouter. Il y avait dans son bureau, un fichier de milliers de fiches bristol sur lesquelles il notait ses observations à chaque fois qu’il passait les voir. Ces fiches regroupent donc des notes couvrant une période de près de 30 ans de la presque totalité des galaxies du catalogue NGC. Sur chaque fiche, un titre simple écrit au normographe « NGC » suivi d’un numéro. Ce fichier d’un autre temps, j’y ai promené mes yeux avant même de comprendre ce qu’est une galaxie, et d’en voir une dans un oculaire. Ces fiches me fascinaient.

En cette nuit de mon anniversaire, comme tous les ans, je pense très fort à mon enfance, à ce qui m’a fait, et à ceux qui m’ont fait. Et les galaxies en font partie. Au détour des constellations il n’est pas rare que l’une d’elles me rappelle un souvenir précis, une parole ou une image. Ce soir, ce n’est pas qu’une balade galactique, c’est aussi un retour dans mon passé, et le plaisir de cette rencontre avec moi-même est plus fort que le froid qui m’entoure.

Le Petit Lion et le Lynx.

Je commence mon voyage galactique par une galaxie lenticulaire dans le Petit Lion, NGC2859. On pourrait croire qu’elle appartient au Lynx car elle se trouve à seulement quelques minutes d’angle d’Alpha du Lynx. Avec une magnitude de 11.8, je la trouve assez vite. Le disque est assez faible, mais le bulbe central relativement lumineux. Par contre, je ne vois pas l’anneau externe que l’on voit sur les photos.

Puisque je suis tout près du Lynx, je longe cette ligne brisée jusqu’à NGC2782. Sa magnitude visuelle est de 11.6, mais sa magnitude surfacique n’est que de 13.9. Elle m’apparaît vue de face, une forme légèrement allongée, mais peu lumineuse, et avec un noyau ponctuel.

Je poursuis en direction de la patte de la Grande Ourse, vers Kappa UMa et Talitha. En prolongeant ce segment de deux fois se trouve une toute petite (2.8’ x 2.5’) galaxie circulaire de faible magnitude surfacique (13.4), NGC2776. Si je vois bien sa forme ronde, je n’arrive pas à distinguer un noyau.

La Grande Ourse et les Chiens de Chasse.

C’est une étape importante du voyage. La Grande Ourse renferme des trésors. Je commence par rendre visite à Phecda qui me conduit jusqu’à M109, belle galaxie spirale. Sa forme m’apparaît clairement, mais je ne vois pas beaucoup de détails. Je décide de suivre la route reliant Phecda à Chara dans les Chiens de Chasse. Cette voie royale est jalonnée d’une bonne vingtaine de galaxies. A peine quitté M109, je rencontre un petit groupe de trois galaxies : une belle forme très effilée, bien marquée, plutôt lumineuse (magnitude 12.1) NGC4157, et un peu plus loin un duo faible mais de taille assez respectable, NGC4085 et 4088. Le petit groupe est plein de charme.

Je continue ma route en direction des Chiens de Chasse pour arriver sur une splendeur, M106, lumineuse, de belle taille (19’x 8’), c’est un joli spectacle.

Et puis, pris de remords je remonte sur Phecda pour aller voir un autre petit groupe : NGC 3738/3756 et un peu plus loin 3718/3729. Ces galaxies sont de petite taille (environ 2’x 2’), je les vois donc faiblement, de formes légèrement allongées, avec des noyaux ponctuels et difficilement visibles.

Un peu plus loin toujours dans la direction de Merak, je rencontre le Hibou, belle nébuleuse planétaire première exception à mon programme galactique. Sa taille me parait imposante à côté des petits groupes de galaxies, mais les yeux du Hibou sont difficiles à cerner avec une turbulence qui me complique la tâche. Heureusement M108 va me réconforter, sa forme élégante très allongée est magnifique, et surtout ce qui m’apparaît plus comme une étoile centrale, que comme un noyau, bien lumineuse rend l’ensemble magique malgré une transparence moyenne du ciel.

Puis, je quitte le quartier pour aller à la rencontre de M101, l’une des difficultés de la Grande Ourse. On ne sait jamais comment on va la trouver. Et ce soir elle me surprend : bien étendue, un noyau assez brillant, et une sensation de « mouvement » autour du noyau. Ce ne sont pas des bras, mais comme des vagues sur cette surface de faible magnitude.

Autre rendez-vous dont on ne sait jamais à l’avance ce qu’il sera : M51. Et là encore je suis agréablement surpris. Elle est bien lumineuse avec, en vision décalée, des vagues autour du noyau qui sont bien là des « amorces » de bras. La petite compagne NGC5195 est par contre plus discrète ; quant au pont de matière il reste invisible.

De là, il ne reste plus qu’à rejoindre M63, la galaxie du Tournesol. La forme est bien là, une belle ellipse, plutôt lumineuse. L’aspect granuleux de la zone centrale reste par contre invisible, le tout étant uniformément blanc.

Je quitterai la Grande Ourse par un bref passage sur les Chiens de Chasse pour aller voir M94 et son disque qui m’apparaît curieusement circulaire et bien lumineux. La surface de cette galaxie donne un effet de densité peu rencontré.

La Chevelure de Bérénice et la Vierge.

Me voilà proche du pôle nord de notre galaxie : j’entre dans la Chevelure de Bérénice. Je cherche un bon moment NGC4889 mais ne la trouverai finalement pas, ce qui me surprend étant donné sa taille et sa magnitude (11.4).

Je décide alors de descendre en direction de la Vierge, pour aller voir au passage M53 et NGC5053 (quoi de plus naturel moi le natif de 1953 !). M53 se montre facilement, mais je n’arrive pas à le résoudre, la difficulté de mise au point est notoire. Par contre, après NGC4889, voilà que je ne trouve pas NGC5053 ! Je ne comprends pas vraiment, cela a l’air facile…

Et voilà le clou du spectacle : l’amas de galaxies de la Vierge, un véritable sanctuaire de galaxies. Ce coin du ciel m’a toujours fait rêver. Je viens sur Vendemiatrix, puis survole l’amas en direction de Denebola du Lion. Le spectacle est grandiose. Je renonce à identifier chaque galaxie avec précision, mais me régale de la vue. D’un mouvement lent je survole ces autres univers, et en dénombre douze sur ma route, d’une grande diversité de forme : des petites spirales, des circulaires, des tourmentées. Les magnitudes surfaciques sont faibles dans ce nuage constitué de M58-59-60 et M84-85-86-87-88-89-90-91, et quelques autres !

Le Lion et Saturne.

Mon voyage touche à sa fin. Je voulais finir par le triplet du Lion : M65, M66 et NGC3628. Je n’ai pas vu ce trio depuis le printemps dernier, et je le retrouve un peu pâle. Chaque élément est néanmoins reconnaissable : la svelte M65, la ronde M66 et la fine lame de NGC3628. La vision de ces trois galaxies si différentes, qui remplit le champ du nagler 13mm est une des beautés du ciel, et des galaxies. Je les quitte heureux.

Comme je regarde le ciel à l’œil nu, j’aperçois Saturne blottie dans les bras de la Vierge. Je décide d’aller lui rendre une petite visite. Saturne est la seule planète qui me touche, celle dont la vision ne me laisse jamais indifférent. L’inclinaison des anneaux me ravit, j’aperçois quatre satellites. J’aime décidément Saturne. Je ne peux m’empêcher de penser à cet été 1966 où j’observais la disparition des anneaux semaine après semaine.

Epilogue.

Me voilà au terme d’une randonnée qui m’aura apporté beaucoup de bonheur et un peu d’émotion. Il fait froid, j’ai froid, mes pieds ont froid. Mais mon cœur est au beau fixe. Le ciel n’était pas au mieux, la faute à cet accès d’humidité, mais il m’a donné du plaisir, et à deux exceptions près, m’a permis de voir une trentaine d’objets galactiques qui ont pour moi une signification toute particulière. Un bien beau cadeau que m’a fait le ciel pour mon anniversaire.

jp

Photo: Observatoire Antarès,  La Seyne s/mer (var)

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