Un voyage dans le temps


La Voie Lactée, et les nuages de Magellan – Nkasa Rupara, Namibie

Sous le tropique du Capricorne, l’astronome “du nord” perd ses repères. On ne reconnait plus, au premier coup d’oeil, le ciel. D’abord il y a ces grandes constellations boréales qui ne sont plus “à leur place” et surtout sens dessus dessous ! Il faut quelques minutes pour reconnaitre des astérismes connus: le Scorpion, les pinces vers le bas, la queue en direction du zénith, le Cygne sur l’horizon nord, et dont les ailes déployées semblent le faire plonger dans un océan invisible, et puis pas de Grande Ourse bien sûr. Ma première sortie nocturne sera étrange, je vois un ciel d’une pureté sans reproche, d’une transparence rarement observée, mais je peine à trouver des choses familières qui sont pourtant là, sous mes yeux.

A la tombée de la nuit, toujours brutale sous les tropiques, un point extrêmement lumineux        attire mon attention à l’ouest. Je pense à Vénus bien sûr, mais l’éclat de l’objet est tel que je doute qu’il provienne d’une planète. Un peu au-dessus, un autre objet extrêmement brillant continue de me perturber. Il me faudra ouvrir Stellarium pour constater qu’il s’agit bien de Vénus, et au-dessus de Jupiter ! Et puis, droit au-dessus de moi, au zénith, une boule bien rouge, c’est bien ça… il s’agit de Mars ! Les planètes semblent plus lumineuses que des étoiles. L’explication m’apparait soudain limpide: pour la première fois j’observe un ciel sans aucune pollution, lumineuse bien sûr (je suis au milieu de la savane) mais surtout atmosphérique. Ici pas de villes, pas d’usines, peu de monde (3 millions d’habitants pour une superficie 1,5 fois plus grande que la France), pas de climatisation ni appareil de chauffage, peu de circulation automobile sur des pistes où l’on croise deux voitures en trois heures de route. Le ciel est préservé de toute agression.  Je me dis avec émotion que ce ciel là devait être celui que nos ancêtres pouvaient voir au 18ème ou 19ème siècle dans l’hémisphère nord ! Constatation crue et cruelle de ce que nous avons fait de notre planète.

Une autre nuit, je me lève vers 2h, pour observer une autre partie du ciel, et surtout ces constellations australes que nous ne voyons jamais. Lorsque je sors, mon oeil est tout de suite attiré par deux étoiles très brillantes, assez proches l’une de l’autre. A nouveau je suis perdu… de quoi s’agit-il ? Il me faut un bon moment pour comprendre, et c’est la constellation juste au-dessus qui me donnera la réponse: je reconnais en effet Orion à l’envers, mais la ceinture ne laisse pas de doute, et puis surtout M42 parfaitement visible à l’oeil nu. Quel spectacle ! je ne l’ai même jamais vue comme ça au sommet du Restefond à 2800m d’altitude ! Et donc, les deux “phares” qui avaient attiré mon attention sont
Castor et Pollux ! les Gémeaux ont la tête sur l’horizon Est, et les pieds en l’air, vision incroyable.

Je continue ma découverte en me tournant en direction du nord. Voilà le Bouvier avec une Capella surbrillante encore, et puis le Taureau juste au-dessus, les Pléiades sont incroyablement lumineuses également. Et puis, voilà le grand carré de Pégase et… oh la galaxie d’Andromède ! Pourtant assez basse je la distingue nettement, je sors mes jumelles et la voilà entière dans mon champ de vision. Je jubile.

Je fais un tour d’horizon, je commence à comprendre le ciel du sud, je retrouve des repères connus: la Baleine tout là-haut dans le ciel, elle que l’on ne voit que très basse sur l’horizon sous nos latitudes. De la Baleine je descends vers le sud, dans une zone où je ne reconnais rien. Il me faudra une carte pour repérer l’Hydre, le Sextant, la Dorade, la Machine Pneumatique, la Boussole, la Carène, le Compas ou la Poupe. Une ambiance maritime qui nous rappelle que les premiers astronomes du sud étaient des navigateurs.  La Voie Lactée est aussi d’une luminosité extraordinaire, visible avec force détails dès la tombée de la nuit, avec des détails que seule l’astro-photographie nous montre dans le nord, comme le Grand Emeu, cette masse sombre qui ressemble à ce grand oiseau du sud couché.

Et puis voilà Hercule là-bas, comme un grand pantin désarticulé sur l’horizon, avec M13 bien visible à l’oeil nu, mais si pâle à côté d’Omega du Centaure, le roi des amas globulaires. Jour après jour, le ciel austral me devient familier, je trouve mes repères aussi vite que dans le nord, comme la Croix du Sud et Omega du Centaure.

Une fois le ciel “ordinaire” en place, et les constellations du sud repérées, je pars à la chasse aux curiosités du coin. A partir de la Croix du Sud, je croise le Caméléon, puis le Poisson Volant pour me retrouver dans la Dorade. Et ce nuage que je n’avais pas remarqué  au premier abord, mais oui voilà le Grand Nuage de Magellan ! et un peu plus loin, dans le Toucan, le Petit Nuage de Magellan. Ces galaxies naines, satellites de notre Voie Lactée, se détachent très bien sur le ciel namibien. Avec Andromède, ce sont donc trois magnifiques galaxies très nettement visibles à l’oeil nu !

J’ai passé trois semaines sous ce ciel, me délectant chaque soir de ce spectacle magique, et ne résistant pas à l’envie de le faire découvrir à mes compagnons de voyage. Il manque à ce récit un mot sur l’ambiance de ces observations. En première partie de nuit, dans les zones humides le long des grands fleuves du nord, ce sont les grenouilles “cloche” et leurs chants qui ressemblent à des airs de xylophone, qui vous accompagnent. Au milieu de la nuit, les grognements d’un hippopotame ou les rugissements des lionnes qui chassent sont toujours du plus bel effet (…). et puis sur le matin, les incroyables oiseaux du sud et leurs chants bruyants vous font sursauter et vous cassent vite les oreilles, sans oublier les courses folles des babouins dans les arbres !

Magnifique nature, de jour comme de nuit, et qui semble encore préservée de toutes les agressions que nous constatons dans l’hémisphère nord. Pour combien de temps ?

jp