La Grande Route Galactique

Le mois de mai est favorable à l’observation des galaxies. En effet, à cette époque, les grandes réserves de galaxies que constituent La Grande Ourse, Les Chiens de Chasse, La Chevelure de Bérénice et La Vierge sont en bonne position dans le ciel, et restent visibles une très grande partie de la nuit. Avec l’arrivée de l’été sidéral, les choses seront moins simples.

Ce soir, les conditions sont excellentes, le SQM mesuré est du niveau du ciel du Restefond, c’est dire! Je pense aussitôt à l’amas de galaxies de La Vierge, il faut un bon ciel, et ce soir tout semble réuni. Mais avant de plonger dans le temps, avant de me perdre dans le cosmos, il faut apprivoiser son oeil, l’habituer aux lueurs délicates, aux formes cotonneuses des sculptures galactiques.

Le meilleur moyen est de suivre la Grande Route Galactique. C’est un cheminement que je pratique quelques fois l’an, une approche initiatique, entre la Grande Ourse et, précisemment, La Vierge. Je vous en ai déjà parlé, entre Alkaid et Vindémiatrix, aux portes de la plus grande réserve de galaxies de “notre” univers.

Dès le départ, on croise le couple M51 et NGC5195. Les deux grands bras de M51, s’enroulent tels les ressorts d’un mécanisme de montre. L’un d’eux semble se détendre et je le vois toucher délicatement la petite mais lumineuse NGC5195, vision subtile et touchante. Je grossis à peine (x123) et reste un long moment à admirer cette caresse galactique.

Me voilà lancé dans cette descente jubilatoire. M63 est ma prochaine étape. Son bulbe ovalisé et brillant, et son noyau ponctuel, au centre d’une robe à l’aspect grumeleux, lui donne un air félin.

Puis je me pose sur Cor Caroli, ce merveilleux couple stellaire , composé d’une étoile bleue brillante et de son petit compagnon, blanc comme un diamant. Juste au-dessus, c’est l’oeil du chat (M94) qui me regarde, large et lumineux, entouré par un disque diaphane qui se fond dans le ciel. Réglisse, qui attend patiemment à mes pieds, ne se doute pas qu’il y a des chats dans l’univers! A peine plus loin, NGC4618, petite spirale ovalisée et son noyau ponctuel. Mon oeil commence à discerner les faibles détails, la vision décalée aidant.

De Cor Caroli, je fais alors un saut de quelques 5º en direction de la Chevelure de Bérénice. Là-bas, deux duos m’attendent: NGC 4656 et 4657 (la crosse de hockey, que les anglo-saxons appellent aussi “crowbar” le pied de biche) et puis, juste à côté, la baleine et son baleineau (NGC 4631 et 4627). Au 26mm, les deux couples sont dans le champ, magnifique! La baleine est très lumineuse, son “petit” semble se frotter contre son ventre. Le pied de biche est plus disccret, surtout 4657. Ce soir, j’ai un faible pour les visions “grand champ” au 26mm.

Et puis, voilà Bérénice. Et là, il ne faut pas se perdre. Les étoiles sont faibles à cet endroit, les repères fragiles. Tout d’abord c’est un groupe de sept galaxies, une sorte d’amas ouvert: NGC 4414, 4314, 4278, 4274, 4245, 4150 et 4136. Il se trouve non loin du seul vrai point de repère de la constellation, ce groupe de sept étoiles de magnitude 5 environ. Sept étoiles pour sept galaxies! Le groupe est centré sur NGC 4274, une bien belle galaxie, large, allongée. Prendre son temps, les sept membres sont accessibles, on les découvre par une simple pression sur le tube, tout ça tient dans un mouchoir de poche , un rectangle de 2ºx4º. Un bon entrainement pour l’amas de la Vierge!

De là, en continuant en direction de Vindemiatrix, je m’arrête sur NGC 4565, cette lame, interminable, fine comme un trait de lumière, avec en son centre un petit bulbe rond et renflé. Un esthétisme délicat, une émotion fragile dans un coin du ciel bien noir. Elle est tout simplement belle, j’ai même renoncé à grossir pour garder en mémoire cette finesse dans le grand champ.

La suite n’est pas mal non plus! L’Oeil Noir, M64, est sur ma route. Une belle spirale, brillante, un bulbe allongé et tout autour, à la manière des petites vagues sur la surface d’un étang, une étendue cotonneuse qui donne cette impression de mouvement.

Nous voilà proche de la fin du GRG. En passant, je m’arrête bien sûr voir M53 et NGC 5053 les deux amas globulaires proches d’Alpha Com. M53 est beau, presque résolu au 13mm (x123). NGC 5053, le discret, restera ce soir invisible.

Me voilà aux portes de la Vierge. Mon oeil est prêt, une nouvelle fois il a aimé cette approche galactique: essayez cette route pavée de petits trésors, la suivre est simple, limpide, pas besoin de carte, le tube connait le chemin!

L’amas galactique de la Vierge.

Entre Vindemiatrix et Denebola, que dire ? Les premières fois qu’on y vient, on en a le vertige: tant de galaxies, les unes sur les autres! On baisse vite les bras, renonçant souvent à détailler ce qui passe dans l’oculaire. Je l’ai fait aussi! Mais c’est une erreur, car le cerveau est ainsi fait que l’on ne voit bien que ce que l’on a identifié. Il faut donc être méthodique , utiliser des repères, et se construire des cheminements.

Les repères existent: ce sont les Messiers! M60 et M59 si l’on part de Vindemiatrix, M98 et M99 si l’on part de Denebola. Et au centre M84 et M86, le point de départ de la chaine de Markarian. Il faut donc se familiariser avec ces repères, être capable de les trouver sans faille. Au bout de quelques nuits, c’est une affaire entendue: tout devient ensuite plus simple!

Sur la carte, on peut “apprendre” 3 itinéraires (voir sur la photo en-tête de l’article):

  • M60-M59-M58-4564-4568-4550-M89-M90: tout d’abord une ligne droite en direction de Denebola, puis on descend vers 4564 et 4568, et on remonte franchement vers M89 et M90. Il faut apprendre le mouvement, s’habituer à le suivre avec le tube, compter les galaxies: 1-2-3… il y en a 8 jusqu’à M90. Lorsque l’on est sur M90, on rebrousse chemin, on redescend: 8-7-6-5- (là, on remonte) 4–3- etc jusqu’à M60. Après quelques passages cela parait si simple!

  • M84-M86-4435-4438-4461-4473-4477-4459-M88-M91: c’est la dite Chaine de Markarian! 10 galaxies toutes différentes les unes des autres. “Les yeux” (4435 et 4438), des ovales, des rondes, au bout d’un moment on ne se perd plus, tant les belles sont reconnaissables.

  • M98-M99-M100-4340-4350-M85-4394: même technique, “apprendre” la forme du parcours, compter les galaxies, apprendre à les reconnaitre. Sur ce parcours, deux couples facilement reconnaissables: 4340-4350 et M85-4394, de plus M85 est l’une des plus grosses galaxies du secteur.

Avec un peu d’apprentissage, vous apprécierez encore plus cet immense amas galactique. Depuis le temps que j’y traine, je l’apprécie beaucoup plus depuis que je sais où je vais et ce que je vois. Essayez!

Hier soir, j’ai donc parcouru ces 3 itinéraires, avec plaisir, avec délectation je dirais même. Après cet exercice, l’oeil est comme ultra-sensible, il voit la moindre lueur dans le champ de l’oculaire, le moindre bulbe fut-il très pâle.

Il est 1h du matin, je suis comme après un bon repas, repu et heureux. Je mettrai du temps à trouver le sommeil.

Que le ciel soit avec vous!

jp

Conditions d’observation:

Heure: 23h
Durée de l’observation: 2h
Lieu: Les Cytises
Altitude: 1686m
Vent: nul
Température: 7º C
Humidité: 71%
Transparence: SQM 21.60 (zénith)
Turbulence: 1/5
Instrument: T300
Grossissements utilisés: 26mm (x62), 13mm (x123)