Sculptures galactiques

Vous connaissez ma passion pour ces autres mondes que sont les galaxies, ces ensembles de matière, de poussières,  de gaz, et d’étoiles. Il y a longtemps qu’elles m’attirent, et rares sont les nuits où je n’en observe pas. La séquence d’Edwin Hubble , cette classification précise, permet d’en détailler les différentes morphologies, et d’en apprécier leurs propriétés. C’est une activité fascinante que d’essayer de discerner leur forme précise, et d’apprendre ainsi beaucoup de choses sur elles: leur masse, leur diamètre, leur taille, leur âge.

Au printemps, les foyers de galaxies sont légions dans le ciel: la Grande Ourse, le Lion, la Vierge, les Chiens de Chasse, des milliers de galaxies s’y cachent. Elles sont si nombreuses que la tentation de se disperser est grande. Mais je préfère passer du temps sur un territoire céleste restreint, plusieurs nuits de préférence, et prendre le temps de détailler ces lointains cocons d’étoiles. Les deux dernières nuits, j’étais dans Canes Venatici (Les Chiens de Chasse), une constellation où les galaxies sont très particulières, des formes inhabituelles, des oeuvres d’art, des sculptures galactiques. Un régal.

Nuits des 9 et 10 mars.

Les deux nuits, les conditions étaient plutôt bonnes, température à peine sous zéro (-1°), humidité faible (55%) le 9, un peu plus forte (73%) le 10, turbulence quasi nulle, pas de vent, et une transparence en progression, moyenne le 9 et bien meilleure le 10. Deux belles nuits quasi-printanières.

Les frontières de Canes Venatici sont déjà alléchantes: Le tourbillon (M51) au nord, l’amas globulaire M3 au sud, le groupe Hickson 68 à l’est,  et un nuage de galaxies à l’ouest; et des petites merveilles un peu partout. Mais je vous recommande de commencer par le Coeur de Charles II, alias Cor Caroli. S’il s’agit de l’hommage au roi éponyme,  Alpha CVn est bien la reine de la constellation, une magnifique étoile double, un couple déséquilibré, un saphir et un petit compagnon blanc-jaune: une autre de ces doubles colorées qui ont tant de charme. Le couple se dédouble sans difficulté à 60x. Et puis, un peu plus loin, un autre couple, bien équilibré celui-là, mais c’est leur couleur orangée qui attire l’oeil; l’un des deux compagnons m’est même apparu un peu rouge au bout d’un moment. En tout cas, le spectacle de ces deux couples colorés dans le champ du 26mm vaut le détour: deux doubles très différentes et facilement résolues.

Les deux soirs, M51 était à son avantage: le pont de matière visible en direct, tout comme les deux grands bras s’enroulant l’un autour de l’autre. Une belle image, aussi bien au 26mm qu’au 13mm.

Après un bref passage par La Galaxie du Tournesol (M63), plutôt fade ces soirs, je me dirige vers Beta CVn, l’autre extrémité de ce segment qui constitue la constellation à lui seul. A environ 40′ ONO de Beta, se trouve La Galaxie du Cocon, NGC 4490. Elle est facilement repérable à environ 40′ de Beta. On remarque immédiatement la forme qui lui a donné son nom. La texture rappelle aussi le cocon du ver à soie, une surface qui semble à la fois brillante et cotonneuse, humide et translucide.  Et puis, juste à côté, NGC 4485, la même en miniature. Très bel ensemble, au nom évocateur; 4490 cache bien sa structure de galaxie spirale barrée.

A peine plus loin en remontant en direction de Phecda (Gamma UMa), une autre galaxie mérite le détour: NGC 4449. En effet, cette belle lumineuse a une forme… rectangulaire! Sa texture est là-aussi particulière, “grumeleuse” est l’adjectif qui vient à l’esprit. Le parallélépipède (on le perçoit bien comme tel) semble comme éclairé de l’intérieur, sans que l’on y distingue un véritable noyau. Le coeur est bien lumineux, les bords plus sombres mais la forme générale est visible: on dirait une compression de César! Etonnante visite. La deuxième nuit, le spectacle était vraiment fascinant, j’y suis passé plusieurs fois.

Je continue ma remontée vers Phecda pour m’arrêter sur M106 et sa cour. Elle ne déçoit jamais, belle, lumineuse, assez grande, cette superbe spirale est immanquable! Le noyau, au centre d’un bulbe, est bien brillant. On ne distingue pas de bras, mais on devine un sens de rotation. Autour de la belle,  quatre petites galaxies. Je n’en verrai, difficilement, que trois: NGC 4217, 4220, 4346. Ce sont de petits fuseaux, assez faibles ces soirs-là. Mais l’ensemble, encore une fois,  visible entièrement dans le champ du 26mm est magnifique.

Retour sur Cor Caroli, pour descendre cette fois vers le sud de la constellation. En prolongeant la ligne Alkaid-Cor Caroli d’un peu moins de la moitié de la distance, je tombe alors sur le plus étonnant des spectacles: deux petits groupes de galaxies, deux couples en fait, aux formes étranges. Et, là encore, dans le même champ! Vous l’aurez deviné, il s’agit de La Galaxie de la Baleine, et de La Crosse de Hockey. Au nord de l’oculaire, NGC 4656, une longue et fine galaxie (vue par la tranche). Sa brillance est irrégulière, une extrémité est assez brillante, l’autre est plus faible, ce qui donne à l’ensemble un air de comète. Et puis, du côté le plus brillant, un appendice prolonge bizarrement ce “bâton”: c’est NGC 4657, une petite galaxie qui semble “tordue”; je dois jouer de la vision décalée pour bien voir cette partie. Mais toujours est-il que l’ensemble est bien reconnaissable: une crosse de Hockey! Le 26mm donne sa pleine mesure, c’est lui qui restitue le mieux l’ensemble. En grossissant, les parties faibles se diluent dans le ciel, et l’ensemble perd son identité.

Mais cela n’est pas fini car, au sud de l’oculaire, une grande spirale, NGC 4631, apparait, à la fois fine et longue, mais également renflée dans sa partie presque centrale. La texture ressemble à celle de la Galaxie du Cocon, à la fois irrégulière, rugueuse, mais aussi visqueuse. C’est curieux, j’en suis bien conscient, d’utiliser de tels adjectifs pour décrire des objets que l’on ne peut toucher, mais c’est la représentation que les images me suggéraient.  Le bulbe et son noyau est un peu décentré, pas de doute: c’est une baleine ! Et de plus, le baleineau, une petite galaxie, NGC 4627, nage à ses côtés. Elle est plus faible, légèrement ovale, on dirait un coup de spatule avec de la peinture à l’huile,  sur la grande toile noire. Oui, il y a du relief dans cette image, je ne la touche pas mais j’en perçois toutes les formes, les lignes. Pas de doute, ce sont des sculptures galactiques.

Sur les deux nuits, j’ai dû passer de très longues minutes à me délecter de ces sculptures: le Cocon, puis NGC 4449, et enfin la Crosse de Hockey et la Baleine! Du grand art céleste.

Mais cela n’est pas fini. Je rejoins maintenant le point le plus méridional de la constellation. Vous me direz: où ça exactement ? Et bien, c’est facile, il est matérialisé par un objet remarquable: une merveille d’amas globulaire, M3. Pourtant, à première vue, je suis un peu déçu: le 26mm me montre une tache vaguement lumineuse en son centre. je m’apprête à changer d’oculaire, lorsque… mais… ça bouge là! Le coeur s’est mis subitement à se métamorphoser; plus je le fixe plus je vois de points distincts, et une incroyable impression de fourmillement. Je n’en reviens pas: je suis entrain de résoudre M3 avec un grossissement de 60x! Lorsqu’il me semble que l’ensemble est résolu, je passe le 13mm (123x) et le même phénomène se reproduit: les étoiles du coeur semblent s’éclairer les unes après les autres, je plonge dans cet entonnoir de diamants, mon oeil est envoûté, aimanté. Sublime.

C’était comme si ces objets, que je connaissais pourtant, m’apparaissaient pour la première fois. Il s’est passé quelque chose ces deux dernières nuits, oui, le ciel m’a bluffé.

Je passerai donc sur quelques autres recherches (Hickson 68, ou le groupe NGC 4138-4111-4143) qui nécessiteraient un ciel encore plus transparent; ou sur NGC 5005 et NGC 5033 un joli couple galactique au large de Cor Caroli. Mais rien n’y faisait, mon oiel voulait inlassablement retourner vers ces divines sculptures galactiques, et les contempler. Et aujourd’hui, ma mémoire ne veut parler que d’elles.

jp