Lendemains de fête

25 février.

Il y a plusieurs jours que je snobe le ciel; vous avez bien lu. Après dix nuits exceptionnelles, le ciel a changé. On sent les prémices du printemps, l’instabilité de l’atmosphère. Vous me direz que j’exagère, et je serais d’accord! Mais il est difficile d’accepter l’ordinaire quand on a goûté à l’excellence. Cela fait donc plusieurs soirs que je délaisse un ciel pourtant convenable: des étoiles qui claquent dans la nuit, même si quelques nappes de brumes, ou nuages isolés tentent de les effacer. Mais j’avais toujours en mémoire les images merveilleuses du début du mois; il fallait que je les oublie un peu, que le désir se réinstalle.

Il est 23h lorsque je me décide à sortir le T300. En regardant le ciel je me dis que ça devrait quand même valoir le coup, mais pourtant quelque chose est différent: le silence. Le silence a disparu. En cette période de vacances scolaires, la population du village a quadruplé, et le silence de la montagne en fait les frais: allées et venues sur la  route , éclats de rire, bruits de  voitures , portes qui claquent, lumières  incongrues; sur les flancs de la montagne, en face, les engins dament les pistes à grand renfort de moteurs diesel…  Cette ambiance me perturbe, j’aime ne rien entendre lorsque je j’observe.   Pour couronner le tout, les lumières publiques ne s’éteignent plus depuis une semaine, concession sans doute accordée aux citadins qui ne savent plus ce qu’est la nuit. Curieuse époque, on vient à la montagne non pour en apprécier le calme et la quiétude mais en y déplaçant les nuisances de la ville…

Faisant contre bonne fortune bon coeur, je pointe NGC 1976 et NGC 1982, autrement dit la grande nébuleuse d’Orion (ou bien, plus prosaïquement,  M42 et M43). Le Nagler 26mm semble être fait pour elle: le champ, mais aussi le piqué, la précision, les couleurs. La palette des couleurs me fait penser aux peintures de Velasquez, aux tableaux orientalistes  de Goya.  J’ai l’impression de la découvrir depuis que je la regarde au 26mm.

Un court passage au Nagler 13mm (sur le trapèze) me montre que la turbulence ne me laissera pas grossir plus. Pour la suite, le 26mm ne quittera que peu le porte-oculaire.

Encore perturbé par l’ambiance sonore et lumineuse, je passe voir quelques grands classiques de l’hiver (M46+M47, la Rosette, Hubble, et le trio du Cocher M36+M37+M38). Toujours au 26mm, je prends  beaucoup de plaisir à détailler ces objets à un grossissement (62x) inhabituel pour cet exercice. Mais la précision du Nagler est redoutable. Chaque fois que je passerai le 13mm pour essayer d’en voir plus, la turbulence provoquera l’effet inverse.

C’est sans doute aussi pour cette raison, que je chercherai en vain les planétaires IC2149 et PK 158+17.1 dans le Cocher.

Une petite visite à l’Hydre, pour passer voir le Fantôme de Jupiter, NGC 3242, belle nébuleuse planétaire très lumineuse. Au bout d’un moment, et malgré la luminosité du disque, la centrale (mag 12) apparait, un petit point bien net. Puis je remonte un peu dans le Sextant et la galaxie du Fuseau (NGC 3115), belle,  un joli fuseau, avec sa région centrale bien lumineuse autour d’un noyau ponctuel.

Puis je me dirige vers le Lion, et son Triplet, un peu pâle mais le plaisir de voir ces trois galaxies dans le même champ est toujours le même. Et puis, une visite à NGC 2903, la plus belle galaxie du Lion, une de mes préférées de l’hiver. En vision décalée on devine que c’est une spirale barrée.

Je terminerai cette soirée, agréable malgré des conditions d’observation particulières, par une visite à la Grande Ourse: M81+M82+NGC 3077, autre triplet remarquable bien mis en valeur par le nagler 26mm (encore): pour une fois, M81 et M82  rivalisent de détails et sont aussi agréables à détailler. Enfin M94, dans les Chiens de Chasse,  un Oeil de Chat bien lumineux, brillant en son centre, et un large disque plus discret tout autour. Dommage que la turbulence ne m’ait pas laissé plus détailler cet oeil.

Dommage aussi que les conditions d’observation aient un peu gâché le plaisir. Je retrouverai avec joie, le silence et la vraie nuit à partir de la semaine prochaine.

jp