Une parenthèse dans l’hiver

Drôle d’hiver en vérité : une arrivée précoce, puis d’étonnantes variations de température en janvier, et maintenant un début de février printanier ! Entre le 2 et le 12 février, l’hiver a carrément fait une pause. A 1700m, en février, il est inconcevable que les températures oscillent entre 3° et 7° au milieu de la nuit, et que le taux d’humidité soit sous la barre des 40%, avec un record de 26% ( !) le 6 février à minuit ! Et le ciel, me direz-vous ? Le ciel ? Oh, il a aimé ça ! Il faut que je remonte très loin dans mes souvenirs pour retrouver trace de conditions comme celles dont j’ai bénéficié pendant dix jours : une transparence exceptionnelle, une turbulence quasi nulle, pas un souffle de vent, que demander de plus ? Je n’ai pas beaucoup dormi ces dix jours-là, sortant le T300 toutes les nuits, parfois avant minuit, souvent après ; mais quel plaisir !

Vous comprendrez bien qu’il m’est impossible de vous raconter ces dix nuits sans vous ennuyer. Je vais donc vous en rapporter les meilleurs moments, les émotions, les plaisirs, ce qu’il me reste de dix jours de pur bonheur. L’impression forte, c’est que j’ai eu le sentiment de vivre une très longue nuit car, chose rare, les conditions étaient exactement les mêmes d’un jour sur l’autre. Du coup, on prend son temps, on ne cherche pas à exploiter intensément des heures exceptionnelles, puisqu’on sait que demain sera comme aujourd’hui !

Les premiers jours, je me suis concentré sur le secteur sud-sud-ouest, celui qui me tend les bras devant chez moi aux environs de minuit, c’est à dire du Cancer jusqu’au Taureau. Bien sûr Orion est incontournable, mais j’ai un faible pour la Licorne. Tout d’abord il y a les trois nébuleuses : Rosette, Hubble, Cône, et les amas ouverts qu’elles renferment. En cherchant bien, on y découvre des petits trésors, comme la petite double orangée et bleue juste en dessous de Hubble. Mais je garde un souvenir ému de la Rosette toute entière dans le champ du Nagler 26mm, la nuit du 8 février.

Toujours dans la Licorne, je ne me lasse pas du superbe amas NGC 2301 ! Très belle vision au Nagler 26mm, avec un petit faible pour la petite étoile rouge à la base du « T » formé par les étoiles les plus brillantes de l’amas.

Et puis il y a le complexe nébulaire de la Mouette (Gum 1 + Gum 2) et les deux beaux amas ouverts qui s’y cachent (NGC 2335 et 2343). Il faut un filtre OIII assez sélectif pour en apprécier tous les méandres, (de la Mouette) mais la balade vaut le détour. Une région riche et très belle, qui demande du temps et de la patience.

De là, il est impossible de ne pas descendre voir dans la Poupe, le duo M46 et M47. J’y suis passé trois fois (les 3, 6 et 7 février) au Nagler 13mm pour les détailler, en particulier la nébuleuse planétaire NGC 2438. Avec la stabilité du ciel, la structure annulaire est facilement visible. Quant à la centrale, on voit très bien une étoile de magnitude 13 en plein centre, mais j’ai lu récemment que ce n’est pas la centrale, très proche, et qui est beaucoup plus faible (magnitude 17,7). Dont acte. Belle vision en tout cas. Le 8 février, cette nuit incroyable où je n’ai utilisé que le Nagler 26mm, les deux amas tenaient quasiment dans le même champ (il en manquait un poil !).

Pour revenir au 8 février, ce fut vraiment une nuit d’exception, au cours de laquelle j’ai pu apprécier ma récente acquisition : le Nagler 26mm. C’est simple, je l’ai placé dans le porte oculaire à 23h30, et ne l’ai retiré qu’à 1h du matin ! Tous les groupes d’objets y sont passés, et les objets étendus bien sûr (comme M45). Je ne vais pas tous les décrire, mais les visions les plus marquantes furent :
M42 et M43 : le goéland plus beau que jamais, traversant le ciel les ailes déployées ! M43 rouge, le cœur de M42 (autour du trapèze) vert, et les extensions (les ailes) roses. Cet oiseau-là (sans filtre) restera longtemps dans ma mémoire !
– Le duo M35-NGC 2158, une vision que j’affectionne particulièrement.
– Le trio M81-M82-NGC3077.
– Le triplet du Lion : M65-M66-NGC3128.
– Le Double de Persée bien sûr !!
– Le Double du Taureau : NGC 1807 et 1817.

Je passe sur bien d’autres ! La conjugaison de la qualité du ciel et du Nagler 26mm m’a incité à beaucoup de contemplation : M36, M37, M41, M44, M45 (les nébulosités visibles sans filtre), etc.

A partir du 10 février, je me suis consacré exclusivement aux galaxies, principalement dans le Lion et la Grande Ourse, avec des détours dans la Chevelure de Bérénice et la Vierge. Les grands classiques tout d’abord, et puis quelques groupes Hickson du Lion, le ciel s’y prêtait si bien !

Lion

Le Triplet est incontournable : au Nagler 26mm tout d’abord, puis aux Naglers 13, 9, et même 7 pour détailler chaque composante (NGC 3128 est magnifique de finesse). Puis, un autre triplet : NGC 3681-3684-3686, facile tant le ciel le permettait ; trois boules de coton à première vue, mais 3684 et 3686 (surtout) s’avèrent ovales et plus lumineuses. Et puis, au bout d’un moment, le quatrième mousquetaire (NGC 3691) fait son apparition, pour former avec les trois autres un T galactique que je savoure en silence.

Après un survol du groupe M95-M96-M105-3384-3367-3377, je passerai deux soirs (10 et 11) à la recherche des groupes Hickson 44, 51, et 57. H44 est le plus facile, quatre galaxies de magnitude 12-13, le 11 février je verrai les quatre au premier coup d’œil (la composante “d” approche, elle, la magnitude 14) et dessinerai le quatuor. A noter une fine bande d’absorption sur la composante centrale “a”.

Les 11 et 12 février, je partirai à la découverte des groupes 51 et surtout 57 (le Septet de Copeland). Je localise assez rapidement 3 des 7 composantes, puis 6 ( ?). Mais elles sont très faibles (toutes autour de la magnitude 15). Pas facile. Quant à H51, l’atlas Uranometria me permettra de localiser NGC 3651-3653 au large de 72 Leo, mais H51 restera invisible. Des recherches toutefois passionnantes, je n’ai pas vu le temps passer !

J’oubliais presque NGC 2903, sous le museau du Lion. Magnifique galaxie barrée, la plus belle du Lion à mon avis. La barre est visible, et le sens d’enroulement des bras perceptible, mais les bras restent difficiles.

Grande Ourse

La constellation est bien haute en cette époque, et c’est un bonheur de passer voir tous les Messiers qui la peuplent. Avec le ciel dont je disposais, les images les plus extraordinaires se sont succédé. Que dire ? Tout d’abord, un énorme coup de cœur pour M51 : à 5h du matin le 12 février, j’y ai passé une heure. Les deux bras de M51 étaient incroyablement détaillés, et même en relief ! Je n’ai pas résisté à essayer de prolonger cette vision en la dessinant. Et puis M101, dont le noyau brillant, les trois bras et quelques régions « NGC » étaient facilement visibles ! Et puis, le duo M97-M108 dans le champ du Nagler 26mm !

Bérénice

J’ai fini cette longue nuit de 10 jours par un passage dans la Chevelure de Bérénice. J’en garderai une image merveilleuse de l’Oeil Noir (M64). La bande d’absorption était très nette en vision directe, quel œil au Nagler 7mm ! Et puis, deux amas globulaires M53 et NGC 5053 dans le champ du Nagler 26mm !! M53, éclatant, dont le cœur est presque entièrement résolu ; et 5053, enfin visible, faible, pâle, peu contrasté, mais bien là ! Ces jours-là, tout était possible !

Comme je le pressentais, raconter cette aventure (c’en est une !) est impossible (j’ai oublié Cassiopée, les Gémeaux, le Cancer, la Vierge !). Et puis, mon récit doit être aussi « fouillis » que mes notes… J’espère vous en avoir néanmoins transmis quelques émotions.

Il neige aujourd’hui, l’hiver a repris le contrôle ; la parenthèse est refermée…

jp