Le retour de la nuit

Il y a un moment que je ne vous ai plus raconté mes nuits sous les étoiles. J’ai pourtant profité de très beaux ciels étoilés depuis la fin mars, mais l’atmosphère printanière est par définition instable, particulièrement en montagne. A cette époque de l’année, il m’arrive donc d’observer le ciel à l’oeil nu, oubliant un temps les instruments. Je rêve, je contemple, la tête dans les étoiles, je m’amuse à voir jusqu’où mes yeux verront. Ce sont des nuits particulières, silencieuses, reposantes. Et je les aime tout autant.

Il faut dire qu’au printemps, la nuit revient en montagne. Et oui, durant tout l’hiver, il n’est pas de vraie nuit. La neige magnifie la moindre lueur, y compris celle des étoiles. Aussi, lorsque la neige a fondu, je retrouve l’obscurité des nuits en  montagne, et les plongées cosmiques n’en sont que plus excitantes.

Je vais quand même vous raconter quelques-unes des nuits où le télescope fut de sortie. Compte-tenu des conditions de transparence, je ne sors en ce moment qu’avec seulement deux oculaires dans mes poches: un Nagler 26mm (62x, 1,3°) et un Nagler 13mm (123x, 0,7°). Voici quelques notes de trois de ces nuits, dans des  conditions similaires (turbulence faible, transparence moyenne). Les observations ont toutes été effectuées au-delà de minuit.

25 mars.

Je  commence par un survol de la chaine de Markarian. Le Dobson s’y prête à merveille. Lorsque l’on connait les lieux pour les avoir fréquentés avec assiduité, que l’on sait où aller,  où changer de direction, la souplesse du Dobson et le grand champ du nagler 26mm accentuent cette sensation de survol. Mes mains déplacent à peine le tube, j’ai l’impression que lui aussi connait le chemin! Sans trop savoir pourquoi, j’effectue toujours la traversée depuis M84 en direction de NGC 4477. Ce soir-là les conditions sont moyennes, mais c’est mon premier vol avec le 26mm et j’aime le champ qu’il m’offre. Une fois de l’autre côté, je rebrousse chemin avec le même plaisir. Je compte les 12 galaxies (M84, M86, 4387, 4388, 4402, 4413, 4425, 4435, 4438,  4458, 4461, 4477) mais pour moi la chaine de Markarian constitue un seul objet indivisible.

Compte-tenu des conditions, je décide ensuite de rendre visite aux quelques amas globulaires de ce secteur essentiellement galactique. Ils ne sont pas nombreux: ils ne sont que six, cinq dans la Chevelure de Bérénice et un seul (le seul!) dans la Vierge. Je commence par NGC 4147: il est assez petit et faible, et je ne le résoudrai pas. Mais, une petite étoile orange, un peu à l’écart, rend le spectacle agréable. Puis je traverse en direction d’Alpha Com pour passer voir les inséparables “53”:  M53 et NGC 5053.  De là je remonte en direction de M3, toujours aussi beau, et poursuis vers le très pâle NGC 5466. Il ne me reste qu’à plonger plein sud pour passer voir le seul amas globulaire de la Vierge, j’ai nommé NGC 5634.  Impossible de le résoudre, mais une étoile jaune-orangée le frôle, et une autre bleue, un peu plus loin de l’autre côté, finit un encadrement de toute beauté.

4 avril.

Conditions très moyennes cette nuit-là. Je me contenterais du seul Nagler 26mm, ne pas trop s’approcher était la meilleure idée ce soir-là! C’est une autre façon d’utiliser le pouvoir séparateur d’un T300: le champ et des images bien définies! Je me promène le long d’une ligne magique: depuis M101 jusqu’à M64. Dans l’ordre: M101, M51, M63, Cor Caroli, NGC 4631 (la Baleine), NGC 4656 (la crosse de Hockey), NGC 4565 (l’Aiguille), et M64 (l’Oeil Noir). La variété des formes, des structures, des luminosités. L’oeil y trouve toujours son compte, et le 26mm est un allié précieux: le recul nécessaire et la précision ! C’est une belle autre façon de voir ces monstres sacrés.

Et puis, je retrouve les étoiles. Amas globulaires: NGC 4147, M3, et un revenant: M13! Quelques amas ouverts aussi: NGC 1502 et la Cascade de Kemble (le 26mm semble être conçu pour elle!), et pour finir: Le Double. Malgré le faible grossissement (62x) je me régale de ces points minuscules et colorés. Même un ciel médiocre permet de passer deux heures passionnantes.

6 mai.

Cette nuit fut sans doute la meilleure en terme de qualité de ciel, sans pour autant atteindre le niveau des nuits exceptionnelles de février dernier. Malgré tout, j’ai pu observer des objets dans pas moins de huit constellations!

Corbeau.

Il y avait longtemps que je n’avais pas vu les Antennes (NGC 4038, 4039). Comme je débutais ma soirée à minuit précise, le Corbeau était déjà très bas.Malgré tout, le distingue la forme caractéristique de cette collision galactique en vision directe, en particulier le “haricot” NGC 4038.  Malgré la vision décalée, je ne verrai pas les extensions; et le 13mm ne sera d’aucun secours.

L’Hydre.

L’Hydre est encore un peu plus basse que le Corbeau, mais le fantôme de Jupiter me tente. Je localise NGC 3242 assez facilement. La centrale est rapidement évidente. C’est un joli spectacle que cet oeil vert! Très basse sur l’horizon, la nébuleuse planétaire ne me donnera pas d’autres détails.

Lion.

Au-dessus de l’Hydre, le Lion m’attend. Je commence par le triplet le moins célèbre: NGC 3681, 3684, 3686. Les trois petits cailloux ronds et blancs sont bien là, nettement visibles dès le 26mm. La luminosité décroit de 3681 à 3686.

L’autre Triplet (M65, M66, et NGC 3628) est en meilleure forme. La meilleure preuve en est la bande d’absorption de 3628 visible en vision décalée au 13mm.   Joli spectacle que ces trois objets dans le même champ (du 26mm).

Encouragé par cette vision, je me dirige vers ce qui est habituellement une des plus belles galaxies du Lion: NGC 2903. Hélas, elle est décevante, peu lumineuse ce soir, ne montrant pas sa structure barrée.

Je continue néanmoins dans la difficulté et passe voir le groupe Hickson 44, dans le cou du Lion, entre Adhafera et Algieba. NGC 3190 et 3193 sont immédiatement localisées. Par contre, j’aurais beau explorer méticuleusement la zone, mais les deux autres membres du groupe (3185 et 3187) resteront invisibles.

Chiens de Chasse.

La belle Cor Caroli est devenue incontournable depuis cet hiver. Cette magnifique double, déséquilibrée (en taille et couleur) rivalise avec Albireo dans mon esprit. En tout cas, une vision réjouissante à chacun de mes passages récents.

De là, je remonte voir M51, plutôt fade ce soir. Le pont de matière est faiblement visible, et si le grand bras est lui assez net, l’ensemble manque de peps!

Par contre la Baleine, NGC 4631, est très lumineuse. Je suis même surpris d’y voir une très légère couleur “saumon”… ?!? Le baleineau est très net également. Je reste perplexe.

La Crosse de Hockey (NGC 4656) est mitigée. Le baton (4656) est assez joli, par contre la crosse (4657) reste invisible. Je suis toujours étonné de telles disparités de vision dans des zones si proches…

Grande Ourse.

La transparence s’est-elle dégradée au cours de la nuit ? Toujours est-il que lorsque je pointe M81 et M82, elles ne me montrent pas grand chose; ce qui est étonnant, tant ces deux-là sont souvent en forme.

M97 et M108 ne seront pas mieux. Quant à NGC 3184, entre les deux Tania (Tania Borealis et Tania Australis) c’est un point lumineux vaguement cotonneux.

Chevelure de Bérénice.

Je tente ma chance un peu plus bas dans le ciel, à la recherche de la qualité rencontrée un peu plus tôt dans le Lion. Hélas, cela ne sera guère mieux: M53 est moyen, NGC 5053 ne se montrera pas, et M64 ne montrera pas son oeil noir. Seul M3 sera fidèle à sa réputation.

Hercule.

Je décide de changer radicalement de secteur, et me dirige vers Hercule qui commence à être haute. M13 sera à la hauteur, magnifique avec ses deux gardiennes jaune et bleue, et la petite galaxie NGC 6207. Puis la petite nébuleuse planétaire NGC 6210 me montrera ses atouts bleu-vert, et sa centrale! Pour terminer, M92 (très beau) et NGC 6229 (non résolu) me laisseront avec le souvenir d’une rencontre agréable avec Hercule.

Dragon.

Pour finir en beauté, je vais aller dans une constellation que je visite moins souvent, à tort. Entre Theta Dra et Edasich, se trouve un joli trio de galaxies (illustré par la photo en tête de l’article): NGC 5981, 5982, 5985. Respectivement, il s’agit d’une spirale vue de face, une ellipse, et une spirale vue de côté, alignées par ordre croissant de luminosité et de taille. Un magnifique spectacle! A noter toutefois que la spirale de côté est très faible au T300.

En conclusion, quelques belles nuits d’observation, même si le ciel était moyen, sans oublier les nuits de contemplation visuelles. Dans les jours qui viennent, les transformations printanières devraient se stabiliser et nous offrir des ciels à nouveau exceptionnels, ce qui permettra de monter encore plus haut en altitude: le Restefond est enfin accessible!

Bon ciel à tous!

PS: La photo d’illustration (NGC 5981, 5982, 5985, dans le Dragon) est de Rob Gendler. Visitez son site, en particulier sa magnifique galerie de galaxies! www.robgendlerastropics.com