Dessert givré

1er décembre. Il est 23h30 lorsque je rejoins le T300 posé dans la neige depuis une bonne heure. Le ciel est très pur. C’est le même plaisir tous les hivers : la neige qui crisse sous les pas, le froid intense (–8°, 70% d’humidité), l’étendue blanche qui réfléchit la lueur des astres, les gestes lents et gauches à cause des épaisseurs de vêtements. A minuit, lorsque l’éclairage public s’éteint, la neige réfléchit encore plus la lumière de la Voie Lactée, c’est une atmosphère étrange : dans ma combinaison de ski, sur cette surface gelée, je me prends pour un cosmonaute sur la surface lunaire 😉

Ce soir, j’ai décidé de me concentrer sur la constellation reine de l’hiver : Orion. Un petit plaisir. Vous savez ? Celui que procure ces petits desserts givrés qui finissent si bien les repas ; on les regarde avec envie, et on les déguste avec lenteur en savourant chaque bouchée. Hmm… Orion ce soir c’était un merveilleux dessert givré !

Le ciel semble magnifique, mais il ne s’avère pas exceptionnel derrière l’oculaire : si la transparence est correcte, la turbulence est gênante (3/5) et ne me permet que rarement de dépasser le grossissement du Nagler 13mm (123x).

Ce soir, je voudrais regarder Orion d’une autre manière : ses étoiles, et ses petites nébuleuses.

Les étoiles.

Je commence par Lambda Orionis, au centre de l’amas Collinder 69, tout au nord de la constellation. Son nom arabe, Meissa « la brillante », incite à la visite. Et cela en vaut la peine car c’est une étoile multiple dont les cinq composantes sont facilement résolues. La dominante de couleur de l’ensemble est le bleu.

Un peu plus bas, je passe ensuite voir la nébuleuse planétaire NGC2022, incontournable. Je ne vois pas sa couleur verdâtre ce soir, elle m’apparaît comme une petite boule ronde plutôt blanche. Néanmoins, c’est toujours un plaisir de la voir dans ce secteur très chargé en étoiles et autres nébuleuses.

Continuant ma descente le long du corps du guerrier, je m’arrête un peu plus bas que Bellatrix sur un groupe d’étoiles multiples : 23 Ori, 25 Ori, 33 Ori.

23 Ori est une belle double, facilement résolue. Ses deux composantes sont d’un bleu assez soutenu.

25 Ori est une triple, facilement résolue. Les trois sont également bleues.

33 Ori ne sera pas résolue, il faudrait grossir 300x.

Aux alentours de ces trois-là, en cherchant un peu on découvre d’autres étoiles multiples, plus petites, et toutes bleues. En fait, toute la région regorge d’étoiles jeunes et chaudes (donc bleues), confirmant si besoin l’intense activité de cette région.

En s’éloignant du corps d’Orion, en direction de l’extrémité sud de son arc, on découvre Rho Orionis. Cette double asymétrique est superbe ! La principale orangée s’oppose à son compagnon plus faible et bleuté. Joli spectacle.

Je me dirige ensuite vers Pi-6 Ori, l’extrémité sud de l’arc. De là, je prolonge en direction du corps d’Orion pour trouver une petite double symétrique, assez serrée et bleutée. Puis, en poursuivant, une discrète et petite carbonée W. Encore une fois, ce secteur regorge de petits trésors, il fait bon y passer du temps.

Direction la ceinture maintenant. Mintaka (aka Delta Ori) est en fait un système stellaire multiple dont la plus brillante (Delta) est composée de deux étoiles bleues. La petite composante est faible (mag 14) mais au bout d’un moment elle apparaît sous la forme d’un petit point bleu à la limite nord du disque de Delta.

L’autre extrémité de la ceinture, Alnitak, vaut également le détour. Je pensais bien la connaître pour avoir usé ma pupille dans ce coin à la recherche de la Tête de Cheval. Mais je n’avais pas fait attention qu’il s’agit d’une belle étoile triple. Il est difficile de voir le compagnon le plus proche d’Alnitak, très lumineuse, mais le 3éme compagnon, plus faible, est un peu à l’écart et facilement identifiable.

Juste en dessous d’Alnitak, se trouve mon coup de cœur de la soirée : Sigma Orionis, superbe étoile multiple. Dans une symphonie de bleu (toujours) Sigma est en fait une quadruple, ses trois petits compagnons sont proches d’elle, alignés à la façon de satellites planétaires. Mais à peine plus loin, se trouve aussi une étoile triple (STF 761), ce qui donne à l’oculaire : une triple et une quadruple. Magnifique spectacle ! Tout ce beau monde se résout facilement au 13mm (123x).

Eta Orionis va compléter ma ballade en étoiles multiples. Une très belle conclusion que cette belle double : deux compagnons d’un bleu profond qu’il me faudra dédoubler au Nagler 9mm (178x).

Nébuleuses

Je vais commencer par le duo M40-NGC2071, un bel objet que je néglige trop souvent. Le couple se localise aisément à mi-chemin entre 56 Ori et Alnitak. M78 est la plus lumineuse de ces deux nébuleuses diffuses. Deux étoiles sont bien visibles, comme des yeux, sur lesquelles un nuage blanc semble posé comme un drap sur un fantôme ! Un peu plus loin (15’) se trouve NGC 2071, plus petite. En plein centre une étoile brillante (mag 9). L’ensemble tient dans le champ du Nagler 13mm (0,7°). C’est un joli spectacle, il faudra que je le dessine une de ces nuits.

Un peu au sud de l’épée, je m’arrête sur 49 Ori. Immédiatement, je distingue un petit nuage qui l’enveloppe : il s’agit de la nébuleuse par réflexion IC 430. En vision décalée, elle est plutôt étendue (10’) et sa forme ressemble à celle d’un éventail. Je suis heureux de la voir si facilement, et sans filtre, comme toujours 😉 Elle porte bien son nom de « nébuleuse par réflexion » tant 49 Ori semble la rétro-éclairer.

Je passe ensuite voir IC434. Sa forme en écharpe autour d’Alnitak est toujours aussi belle. Je me déplace le long du ruban, il semble interminable. Je la connais bien IC434, en raison des heures passées à y chercher B33 la nébuleuse de la Tête de Cheval. A deux occasions, j’eu le plaisir de la voir, avec mon T200 ! Mais ce soir, je sais qu’il ne sert à rien d’essayer. Pour réussir cette gageure, il faut un ciel d’une transparence exceptionnelle, et ça n’est pas le cas ce soir. Pas grave, c’est un secteur où il fait si bon flâner ! 😉

Evidemment, j’ai prévu de terminer par la grande nébuleuse. Mais auparavant, je veux me faire un autre plaisir. Pour un instant, je vais m’éloigner d’Orion pour aller voir R Lep dans le Lièvre. Son petit nom « l’étoile cramoisie »  (Crimson Star) est déjà tout un programme. Cette couleur ne ressemble à aucune autre. Pour la trouver, il suffit de prolonger le segment Arneb-Mu Lep (de la moitié de sa longueur) en direction d’Eridan. A partir de là, impossible de manquer cette couleur « rouge cramoisie », elle saute littéralement à l’œil. Je lui trouve des reflets orangés ce soir, un rouge moins profond que dans mes souvenirs. Mais il faut dire qu’elle est assez basse. En tout cas, on ne lasse pas de cette couleur.

Final

La Grande Nébuleuse d’Orion est une évidence quand on passe deux heures à tourner autour d’elle. L’oiseau est splendide et coloré. Le trapèze me montre au premier coup d’œil six étoiles. Au 13mm, ça regorge de détails ! Et de couleurs aussi. Au T200 je voyais du vert. Avec le T300, je vois bien le rouge des ailes, et la zone sombre autour du Trapèze. Le cœur de la nébuleuse est aussi très riche en détails. Quel spectacle, il faut que mes pieds douloureux à cause du froid me disent de rentrer pour enlever l’œil de l’oculaire.

Il est 1h30. Le dessert givré était excellent ! 😉

jp

Photo: Le Cians en hiver. (Joel Pinson – 2006)