Sur la route de Polaris

23h45. Me revoilà sous un ciel magnifique, pour la troisième nuit d’affilée. Impossible de se reposer avec de tels ciels. D’ailleurs, dès que les lumières du village s’éteignent, la fatigue a disparu. Je me remets en route avec le même plaisir qu’il y a trois nuits.

Comme souvent lorsque j’enchaine les observations, je commence par aller revoir des objets de la veille. La mémoire visuelle aime ces retours, sans carte. Cela lui permet de progresser. Et puis, comme l’essentiel est déjà mémorisé, cela permet d’apprendre l’environnement, un petit astérisme par là, une petite double, une couleur. On ressent alors la sensation de connaitre mieux le lieu, d’y être chez soi. On me demande souvent (avec l’espérance d’une méthode rapide et efficace) comment apprendre le ciel ? Et bien… il faut du temps, et du travail. Sans cesse revenir, sans cesse mémoriser, sans cesse observer!

Je retourne donc dans Camelopardalis – que ce nom est doux, je le préfère au nom français – du côté de NGC1502, une belle connaissance. Il suffit de suivre cet arc de quatre étoiles, de le prolonger un peu visuellement, et de poser le point rouge à cet endroit: voilà le bel amas dans le champ du Nagler 13mm, avec seulement 0,7° de champ! Qui a dit qu’un pointage au point rouge n’était pas précis ? J’inspecte les environs, je me délecte de ce grand V et de la belle double qu’il referme. Et puis doucement, je me laisse glisser vers NGC1501. Je sais qu’elle va apparaitre dans le champ, donc pas de précipitation, regarder le paysage défiler, mémoriser. Là… la voilà, la grosse boule bleu nuit! Le 9mm vient remplacer le 13mm, et la centrale apparait. Parfois j’ai l’impression que l’absence de surprise décuple le plaisir: on sait ce que l’on cherche, ce que l’on va voir, on est donc tout entier tourné vers l’apparition. Beau quartier en tout cas chez Camelo’ !!

Je m’y sens tellement bien que vais y passer deux heures! En effet, il y a un moment que je veux explorer les galaxies de la Girafe. Alors, en partant de NGC1502, je vais remonter le chapelet des galaxies jusqu’à Polaris, notre repère céleste. Sur le papier (page 11 du PSA) rien de plus simple. Quoique, en y regardant de plus près, le papier est relativement blanc page 11 (!) c’est à dire que les repères sont peu nombreux et les étoiles de faible magnitude. Si on rajoute que la constellation de la Girafe est sujette à diverses interprétations selon les cartes… je m’attends quand même à quelques difficultés. Au bout du compte, les difficultés seront réelles, et ce chemin jusqu’à Polaris ressemble un peu à la photo ci-dessus: beaucoup de chemins, de pièges, de fausses routes, dans une géographie céleste où il n’est pas toujours évident de se repérer!

Suivez le guide: Depuis NGC1502, je vais successivement aller à la rencontre de NGC1569, 1961, 1560, 2146, 2336, 2268, 2300 et 2776. Un chemin galactique quasi-évident vers Polaris. Elle, au moins, est facile à repérer, je la soupçonne même d’avoir rigolé en me voyant, pauvre terrien, errer d’un coin à l’autre de la constellation!

NGC1569

Le début du voyage est assez simple. Depuis NGC1502, je suis la direction d’Alpha Cam, à mi-chemin se trouve 1569. C’est une belle galaxie ovale (environ 4’x2′), facilement identifiable à côté d’une petite étoile de magnitude 10, au nord du noyau.

NGC1961

En poursuivant dans la même direction, je dépasse Alpha Cam, et me dirige vers une étoile de magnitude 6. Un peu après la moitié de la distance, légèrement sur la droite, je trouve NGC1961. Elle est faible (mag 12, 4,5’x3′). On perçoit néanmoins que c’est une spirale vue de 3/4. Aucun autre détail n’est visible.

NGC1560

Changement de direction, un peu plus d’un 90° sur la droite pour aller rejoindre NGC1560 au large de Gamma Cam. Une belle surprise m’y attend: une galaxie spirale vue par la tranche, assez longue (10′) et assez renflue (5′) mais de magnitude surfacique plutôt faible. En vision décalée, le spectacle est quand même bien joli!

NGC2146

Après ce petit détour, je reprends ma marche en direction de Polaris en visant une étoile de magnitude 5 dans l’axe de la polaire (il n’y en a pas beaucoup dans cette direction). Au large de cette étoile (HIP33694) se trouve une autre étoile de mag 6, au-delà de laquelle se trouve 2146, une spirale au centre assez brillant. En fait, Il s’agit de deux galaxies siamoises (2146 et 2146A), mais je n’en ai rien deviné à l’oculaire.  Elle est quand même faible (mag 13).

NGC2336

C’est là que mes ennuis vont commencer. Sur le papier, pourtant, rien de bien sorcier. Depuis 2146 il faut trouver un petit triangle d’étoiles dans l’axe même de Polaris. Oui, mais je vais y passer une bonne demi-heure. Avec la nuit bien installée, et ma vision nocturne bien en place aussi, je vois de plus en plus d’étoiles dans ce secteur. Après vérification je voyais du mag 7,5! Du coup,  je me perds plusieurs fois. Je reviens au PSA, regarde le ciel à nouveau, retourne sur 2146, refait le cheminement à l’oeil nu, puis au télescope… et ne trouve rien.  Trois fois je retourne sur 2146 pour finalement trouver 2336 au moment où le découragement me guettait. Quelle recherche! 2336 est une belle spirale vue de dessus, assez faible toutefois.

NGC2268

Depuis 2336, la route est plus facile car Polaris est maintenant droit devant. Il suffit de passer une étoile de magnitude 4-5, 2268 est quelques deux degrés derrière. C’est une spirale barrée vue de 3/4. On voit bien sa forme ovale, et un noyau ponctuel.

NGC2300/NGC2276

Dernier arrêt avant Polaris. Encore 2° dans la direction de la polaire, je tombe sur 2300 et 2276. Elles sont espacées de 6′. 2300 est la plus brillante des deux, noyau ponctuel bien marqué. Par contre 2276 est assez faible et je ne distingue même pas de noyau. J’ai appris deux choses depuis: 1) les deux galaxies appartiennent à la constellation de Céphée, et 2) 2276 n’a pas de noyau!

Je pousse jusqu’à Polaris, belle étoile double. Il est presque 2h. Je suis heureux d’avoir réussi mon périple!

Un demi-tour sur moi même, Orion m’attend! M42 et M43 sont aussi belles qu’hier. Le bel oiseau montre son plumage: les ailes virent au rouge, le corps entre vert et blanc. Le trapèze me montre encore 6 étoiles. Je ressens la fatigue de trois belles nuits d’observation. Mais ce sont des observations comme celles de ce soir qui donnent envie de recommencer!

jp