Nuages dans le Cygne

Valberg, le 25 juin 2011.

Première nuit d’été dans mes montagnes. Lorsque je sors le T300 un peu avant minuit, je suis en T-shirt, pieds nus dans mes sabots; l’air est doux, le ciel hésite toujours entre le jour et la nuit, mais pas un nuage à l’horizon. C’est le paradoxe de l’été astronomique: nuits réduites à la portion congrue, mais douceur conviviale. Je sens que je vais passer une belle nuit.

Déjà le Scorpion se dresse au-dessus des montagnes, il semble menacer Ophiuchus aux prises avec le Serpent. Belle entrée en matière me dis-je. Je me dirige vers la nébuleuse planétaire de la Boîte, NGC 6309.  Elle est petite, impossible de la distinguer des étoiles à faible grossissement, mais dès le 13mm (120x) en place, je repère ce regroupement stellaire un peu étrange: trois étoiles entourent un objet dont on voit bien qu’il a quelque chose de particulier. C’est le moment de grossir à 200x: une forme allongée, vaguement rectangulaire, verdâtre, translucide. Bel ensemble que cette forme verte et ces trois étoiles sentinelles.

Ophiuchus héberge quelques amas globulaires que je passe rarement voir. Je vais réparer cet oubli en allant rendre une petite visite à deux d’entre eux: M12 et M14. Visions contrastées, l’un (M12) est riche et résolu sans difficulté, l’image au 9mm (178x) est surprenante de précision; l’autre (M14) est plus discret, dense et d’aspect un peu granuleux, on dirait une image faiblement résolue, qui ne le sera d’ailleurs pas! J’aime cette constellation, je me souviens lui avoir dédié un CROA l’été dernier (Riche comme Ophiuchus).

Je m’éloigne du Serpentaire pour rejoindre les Chiens de Chasse. Il n’est pas de belle soirée d’observation sans galaxies! Je commence par M51, pas mal du tout au 26mm (62x), le pont de matière est net. Mais au 13mm (120x) il devient plus discret, et… invisible au 9mm (178x). Le ciel est propre, pas de turbulence, mais la transparence reste perfectible. Après un passage “obligé” par la belle Cor Caroli, je me dirige vers la galaxie du Cocon (NGC 4490) et la petite NGC 4485 toute proche. Depuis ma dernière nuit sur les pentes du Restefond je les appelle “les madeleines de Michel”. Elles sont douces ce soir, et bien lumineuses,  on les croquerait volontiers ces madeleines! Poussant à peine plus loin en direction de la Grande Ourse, je m’arrête sur ma favorite de l’hiver, NGC 4449, et sa forme rectangulaire, plutôt diffuse ce soir. Et puis un peu plus haut encore, la belle M106, très en forme.

Un petit arrêt sur le seul amas globulaire de la constellation de la Vierge, NGC 5634, relativement brillant mais pas résolu, et me voilà chez Hercule. M13 et sa “crevette” NGC 6207 (un peu comme la crevette compagne de la murène) sont en (très) grande forme. NGC 6207 montre même son noyau et sa robe transparente, je l’ai rarement vue si bien. Puis, direction NGC 6210, la très belle et lumineuse nébuleuse planétaire d’Hercule. Je ne parviendrais pas toutefois à apercevoir sa centrale.

Et puis… et puis, je gardais le meilleur pour la fin: le Cygne, roi de l’été. Albireo bien sûr, et au passage la M27 du Petit Renard et sa translucidité magnifique dans laquelle je me noie volontiers au 9mm, puis l’anneau de la Lyre (M57) qui est d’une netteté fantastique ce soir, sans la moindre turbulence, mais qui ne me permettra toutefois pas de voir sa centrale. Mais surtout, ce qui m’excite ce soir ce sont les nuages du Cygne, ces nébuleuses mythiques , ces filets de brume sur la Voie Lactée. Seul impératif, chausser le filtre OIII sur le Nagler 26mm, et se laisser ainsi porter par ces volutes célestes, ces entrelacements, cette broderie cosmique.

Je commence par la nébuleuse du Croissant (NGC 6888), au large de Sadr, en direction d’Albireo. Le croissant est évident, il flotte sur la Voie Lactée. Il y a de la nébuleuse du Crabe dans ce croissant-là, des filaments bourgeonnent de partout, trois étoiles bien brillantes ornent l’ensemble, au centre et sur les deux bords. Et puis, par transparence, le tapis d’étoile se déroule, il magnifie la vision. Un vrai régal.

Direction Deneb maintenant, et le triangle qu’elle forme avec xi et nu Cyg. Deux monstres nébuleuses sont là, NGC 7000 (North America) et IC 5070 (le Pélican).   Pas faciles de voir ces deux-là dans un télescope, tant elles sont étendues. Souvent, on en aperçoit des bribes, mais il est difficile de reconstituer le puzzle. Sauf certains soirs, sauf hier soir! Pour la première fois, j’ai eu l’impression de voir l’Amérique du nord comme sur les photos; je me suis baladé dans le Golfe du Mexique, j’ai traversé la Floride du nord jusqu’à Key West, je suis remonté jusqu’au Midwest, et même le Canada. Fantastique voyage! La Voie Lactée par transparence préfigure les villes américaines , quel vol de nuit!

Et puis, de l’autre côté de l’océan Atlantique, voilà le bec du Pélican. Je reste un long moment à aller et venir, un vrai bonheur.

Un peu plus bas, sous l’aile gauche du Cygne, m’attendent NGC 6990, 6992, 6995, oui les Dentelles. La double 52 Cyg magnifie la Petite Dentelle: ce petit compagnon ponctuel, un long filament d’un côté, de l’autre un écheveau de crin volant au vent; et presque au centre, 52 Cyg qui éclaire subtilement l’ensemble!  A peine plus loin, le Triangle de Pickering; sa queue est si fournie que le triangle passe plus inaperçu qu’à l’accoutumée.  Après North America, les dentelles sont vraiment fantastiques ce soir. Et que dire des Grandes Dentelles! Cette “patte d’insecte” fourmille de détails, on dirait une macrophotographie de la patte d’une mouche, ou d’une sauterelle. Il faudrait des heures pour en dessiner les contours: ce ne sont que broderies, entrelacements, flamèches, cheveux.  Je suis étourdi de tant de beauté.

Il est bientôt 3h. Il fait 15°, mais je n’ai pas froid. Il est des nuages qui rendent heureux.

jp

PS: La photo d’illustration (NGC 7000 dans le Cygne) est de Johannes Schedler. Visitez son site, en particulier son exceptionnelle galerie sur le ciel profond. http://panther-observatory.com/