Au bout de la patience, le ciel

Il faut de la patience pour mériter une belle nuit sous les étoiles; particulièrement depuis un mois. Après une journée de transition, où soleil et nuages cohabitèrent pacifiquement, le ciel nocturne s’annonçait enfin clair. Et, hier soir, c’est avec un plaisir non dissimulé que j’installais le T300 devant la maison pour une mise en température rapide.

23h30. Me voilà enfin sous les étoiles. J’en savoure tout le plaisir. Jupiter est éclatante, Pégase s’envole vers le zénith, le Cygne se couche en se laissant glisser le long de la Voie Lactée, les Pléiades se montrent au-dessus du toit de la maison. Le ciel sent bon l’hiver, la saison préférée des astronomes.

Pendant une petite demi-heure, je laisse le temps à ma vision nocturne de se mettre en place: collimation, puis quelques coups d’oeil aux endroits stratégiques du ciel compte-tenu de ma situation (sud, ouest, zénith, nord), la transparence a l’air inégale, mais quel plaisir de revoir des astres! Et puis j’attends surtout l’extinction des éclairages publics: c’est devenu incontournable!

Minuit. Je suis seul sous les étoiles, plus une seule lumière; tout au plus les phares d’une voiture tout là-bas, loin, sur la route du col. En une seconde le ciel nocturne prend son vrai visage, la seule lumière est celle qu’il produit. La nuit m’invite, je suis prêt.

Pégase et Andromède sont magnifiques au zénith. Je vais commencer par rendre une visite à Andromède et quelques-unes de ses merveilles. La grande galaxie (M31) a l’air en forme à l’oeil nu, et dans le champ de l’oculaire aussi! Je la survole au Nagler 13mm, sa robe est quelque peu diffuse mais très étendue, ses compagnes (M32 et M110) ne sont pas en reste. Il y a des nuits d’hiver où ces beautés montrent des détails d’une grande finesse, hier soir elles semblaient drapées dans une enveloppe de ouate, aussi blanche que les premières neiges des sommets environnants. C’était un beau spectacle.

Je monte encore plus haut dans le ciel pour aller à la rencontre de la nébuleuse planétaire dite de la Boule de Neige (NGC7662). La boule turquoise flotte magnifique sur un ciel bien noir. Avec les diamants éclatants qui l’entourent, on croirait le présentoir en velours noir d’un bijoutier: une turquoise et des diamants, simplement posés là sur le ciel. Je prends mon temps, le spectacle en vaut la peine.

Et puis, je grossis la boule de neige, à la recherche des détails aperçus il y a un mois. J’irai jusqu’à 560 fois. Bien sûr la boule se déforme sous l’effet de la turbulence, mais au bout d’un moment à promener ma vision décalée autour de l’objet, des petites formes lumineuses se détachent à l’intérieur de la boule, comme des micro-éclairs, des glimpses. Après un long moment, pas de doute il s’agit bien des détails aperçus le mois dernier, des sortes de “C” très lumineux. J’en vois surtout un, sur la gauche de l’oculaire, l’autre est moins évident. Il faut dire que cela bouge pas mal avec ce grossissement. Un grand plaisir que de rentrer dans l’intimité de cette belle turquoise.

Puisque je suis dans le secteur, je passe voir la galaxie NGC7640. C’est une longue histoire avec elle. Avec mon T200 je m’y suis cassé les yeux de longues nuits sans jamais la voir. Et puis avec le T300, je la localise si facilement, blottie dans son triangle d’étoiles. Elle est certes faible et peu contrastée, ce qui explique les difficultés avec un moindre diamètre, mais c’est un long fuseau inséré entre trois étoiles de magnitude 11. Une belle vision.

Et puis, je ne peux pas passer par Andromède sans aller voir ce qui est pour moi la plus belle galaxie de la constellation: NGC891. Depuis Almach, il suffit de s’envoler dans ce coin de ciel obscur en direction de Persée. La Belle forme un triangle isocèle avec 60 And et Almach. Elle était splendide hier soir. J’aime ce fuseau incliné à 45° dans le ciel, et cette petite étoile posée sur le bord, vers le noyau. Au bout d’un moment, la bande d’absorption apparait, elle traverse l’élégante forme sur toute la longueur. C’est un spectacle dont je ne me lasse pas.

Il est temps de passer voir la grande galaxie du Triangle (M33). Sa position dans le ciel pourrait bien me réserver une bonne surprise. Déjà, en arrivant sur place, la robe est évidente; on ne voit pas les bras à proprement parler mais le sens de rotation oui. Au bout d’un moment deux formes incurvées semblent néanmoins se détacher, les prémisses des deux grands bras. Ce qui est toujours impressionnant c’est le contraste entre la grande taille de cette galaxie (elle ne tient pas dans le champ du Nagler 13mm) et son tout petit noyau ponctuel. Après une observation minutieuse, et prolongée, des nébulosités légèrement rosées se montrent en vision décalée. L’une d’elle est assez brillante, au bout d’un bras, c’est NGC604, la nébuleuse du Triangle, à côté d’une étoile de magnitude 9. Il ne faut pas passer vite sur M33, l’observation est affaire de patience.

Je me dirige ensuite vers la Baleine. Il y a des semaines que je veux aller y voir de nombreuses galaxies. Mais je me rend compte rapidement que ce secteur du ciel est moins transparent. De plus la position de la Baleine, plein sud, et basse, est une autre difficulté, le ciel est rarement noir en cet endroit. Je vais donc ranger mes envies de groupe Hickson et autres difficultés galactiques, pour faire un petit tour plus approprié aux conditions. Je commence par la nébuleuse planétaire dite du Crâne (NGC246). Cette nébuleuse de grande taille (6×4′) est faible mais on la repère facilement car centrée sur un groupe de 4-5 étoiles que l’on repère bien dans ce secteur assez obscur. Certains y voient un crâne, d’autres un beignet mordu, je pencherais plutôt pour le crâne. Elle était assez faible hier soir. De même que la galaxie NGC255 sa voisine, petite et circulaire.

Je me dirige ensuite vers un petit groupe de trois galaxies sur le dos du cétacé: NGC 615, 596 et 584. Je les repère facilement. 584 est la plus lumineuse du groupe, suivie de 596. Elles sont alignées et espacées régulièrement. 584 et surtout 596 sont très proches d’une étoile, donc faciles à repérer. Leurs noyaux sont assez brillants, 584 est circulaire, alors que les deux autres montrent une forme un peu allongée. Joli groupe, même si la transparence médiocre en ce secteur n’aide pas à en découvrir plus.

En remontant vers la tête de la Baleine, je m’arrête sur deux autres groupes:
NGC 1042 et 1052: proches, elles sont faciles à repérer. Ce sont des spirales vues de face, assez faibles hier soir. Par contre leurs voisines NGC1084 et NGC988 resteront invisibles.
M77 et NGC1055: évidentes au large de Delta Cetus, surtout M77, lumineuse avec un grand noyau. J’ai cherché autour NGC1073 et NGC1087, très pâles, je ne suis même pas sûr de les avoir vues…

Je décide d’arrêter là ma quête galactique dans la Baleine, le ciel était trop peu transparent au sud, et je retourne au zénith pour terminer par quelques jolies amas: M52, NGC7789, le Double de Persée. Des valeurs sûres qui ne déçoivent jamais. Et puis un objet que j’aime beaucoup (un de plus!): NGC7008 ou la nébuleuse du Foetus. Quelle merveille encore hier soir! je ne m’en lasse pas. Je ne comprends pas comment j’ai pu galéré pour la trouver au début avec mon T200, car je tombe dessus maintenant du premier coup! La petite double colorée, et la bulle (aux reflets bleutés et rosés), posée juste dessus. On devinerait presque le foetus! Allez voir cette merveille.

On approche 2h. Je vais finir par Jupiter. La belle qui se couche est entourée d’un halo de brume, elle grillera moins mes yeux! Amusant le ballet de satellites: Io et Ganymède jouent à l’étoile double!

Voilà, une belle partie de nuit. Il y aura une suite, la météo annonce trois autres nuits claires à suivre. Enfin.

jp