Un samedi soir au col de la Cayolle


20h30, nous arrivons au sommet du Col de La Cayolle (2326m). Je voulais arriver de jour pour avoir le temps de trouver un bon emplacement. En effet, si je connais bien ce col sauvage, moins fréquenté que d’autres plus réputés dans le secteur, je n’y ai jamais observé le ciel. Petit problème : la route est étroite et les espaces permettant à des astronomes de se poser sont peu nombreux. Petite crainte : celle que quelques camping-cars aient envahi les lieux et occupent les seuls endroits praticables. Hélas, ma crainte s’avère fondée. Une fois la borne du col passée, nous voyons 4-5 camping-cars sur le petit parking du sommet… L’autre parking est situé un peu plus bas sur le versant nord, mais le refuge n’étant pas (encore) fermé, ce n’est même pas la peine d’aller voir. Heureusement, nous avions repéré un bel endroit peu avant le sommet. Vincent et son pote Daniel nous confirme avoir repéré le même lieu. Demi-tour donc et arrêt deux cents mètres plus bas. Le lieu semble désert. Mais dès la portière ouverte une musique nous accueille, une belle musique, celle des clarines des quelques vaches blanches qui occupent le lieu. L’odeur de la montagne, les pâturages, les clarines, la soirée commence bien.

Nous repérons de l’autre côté de la route un emplacement de rêve, herbeux, plat, surplombant la route et offrant un ciel dégagé sur 360°. Que demander de plus ? Nous installons le matériel, puis nous équipons pour supporter le froid et l’humidité qui tombe : Annie multiplie les couches, je fais de même, un peu trop même, je serai forcé d’en enlever quelques-unes un peu plus tard. Bref, le campement se met rapidement en place, sous le regard étonné des vaches.

21h30. Les tubes sont en place. Le 114mm de Vincent, et mon 300mm. La nuit tombe doucement, le ciel s’illumine, les sourires s’arrondissent, le plaisir est en vu !

Nous mangeons un morceau avant de plonger dans l’univers qui se dévoile au-dessus de nos têtes. En regardant ce ciel la terrine au piment d’Espelette a un goût divin.

Comment raconter une telle nuit ? Pas facile de reproduire la chronologie, de rapporter les allées et venues d’un tube à l’autre, les comparaisons, les discussions, les rires, et surtout le grand nombre d’objets observés. Commencée à 21h30, notre soirée finira à 3h30, 6 heures intenses qui semblèrent bien courtes tant le plaisir était grand. Je n’ai même pas senti la fatigue de trois nuits blanches cette semaine. Enfin, jusqu’à 3h du matin.

Je vais donc essayer de vous raconter notre nuit, et surtout nos émotions, par le menu : tout d’abord les galaxies, puis les amas, quelques étoiles, des nébuleuses planétaires, Jupiter, et puis les nébuleuses, reines de la fête et bouquet final de notre nuit. On y va ?

Les galaxies
Très vite M31 nous est apparue majestueuse dans le ciel. A l’œil nu elle était déjà belle. Aux jumelles ses presque 4° emplissaient le champ. Au télescope, c’est le T114 de Vincent qui lui rendait le meilleur hommage. Le T300 n’en montrait, lui, que des bribes, des détails. M32 et M110 n’étaient pas en reste. Le plus extraordinaire c’est que nous avons suivi cet équipage toute la nuit : d’abord sur l’horizon nord-est, puis lors de son envol vers la Voie Lactée, jusqu’au-dessus de nos têtes vers 3h, à se casser le coup pour la pointer ou la regarder aux jumelles. C’est une belle voisine que cette galaxie.

Bien sûr nous n’avons pas oublié le Triangle et sa grande timide, comme j’aime l’appeler. M33 se révèlera peu, mais son final, là-haut dans le ciel, sera aussi bien beau, on aurait dit qu’elle commençait à s’habituer à nous, nous laissant entrevoir des formes.

Puisque nous passions par là, je ne manquais pas de montrer NGC891 à mes compagnons. Là aussi, elle était discrète au début, puis au fil des heures sa séparation noire devenait évidente, alors que son fin fuselage restait plus discret.

Plus tard, nous rendions visite à quelques vedettes : M51, très belle malgré sa faible hauteur, nous montrait ses bras en vision directe et le pont de matière plus discret en vision décalée. Le couple M81 et M82 toujours à son avantage. C’était la première fois que mon T300 les regardait : M82 y était comme toujours la plus belle, montrant de jolis détails en forme de nodules, comme une collier de perle.

Vincent voulait voir la Galaxie de Barnard, NGC6822, et il le fit le bougre ! Son T114 en était tout rouge de plaisir  Une recherche soignée nous permit d’admirer la belle discrète.

Dans la Baleine, je tentais d’engager un parcours galactique dont je rêve depuis un moment, mais les quelques cibles que je pointais ne m’encourageaient guère. NGC157 et NGC151 étaient bien pâles sous les lueurs d’un Jupiter qui fanfaronnait dans le noir et nous gênait dans ce secteur. Ma balade dans la Baleine, le Fourneau et le Sculpteur devrait encore attendre. D’ailleurs, une petite visite dans la Petite Ourse, vers NGC6217, la « délaissée » comme la nomme Jeff, confirma qu’un programme galactique approfondi n’était pas de mise hier soir.

Les Amas
Sous un tel ciel, les amas d’étoiles sont une évidence. Les volutes de la Voie Lactée, ou les gros amas du ciel sont si beaux à l’oeil nu qu’on ne résiste pas longtemps à passer voir des trésors que l’on croit connaître et qui se révèlent toujours différents. Nous passerons du temps à les observer : à l’œil nu, aux jumelles, au T114 et au T300, en variant les grossissements. Le premier fut M22, l’amas globulaire le plus lumineux du Sagittaire. Il était beau sous toutes les formes, Vincent l’aimait bien dans son T114, et il avait raison ! Et puis M13 bien sûr. Après quelques explications de repérages à Annie (sans laser !) le T300 enchanta son monde par la finesse des détails et la résolution du cœur à tous les grossissements, jusqu’à 300x ; on a même l’impression qu’on pourrait continuer ainsi à l’infini. Dans Pégase, M15 ravit Annie, une discussion s’engage sur les impressions que laisse l’amas : une bosse ou un creux ? choisissez votre camp.

Et puis inévitablement, on sait qu’à un moment ou à un autre de la nuit, quelqu’un aura envie de voir ces petits nuages là-bas enter Cassiopée et Persée : NGC869 et 884. C’est au T300 que l’éclat de ces diamants multicolores sera le plus apprécié. Plus tard, Les Pléiades viendront se rappeler à notre souvenir. Il y a quelques mois que je ne les ai pas vues, mais la vision de ce groupe s’élevant au dessus de la crête des montagnes était un joli moment. Dans Cassiopée, M52 montrera la finesse de ses étoiles regroupées, mais que dire de NGC7789 ! Il était tout simplement sublime hier soir, nous y passerons de longues minutes au 13mm sur le T300. La finesse des étoiles et cette répartition en bouton de rose sera l’un des coups de cœur de la nuit.

Quelques étoiles.
Et puis de temps en temps, un survol de la Voie Lactée est toujours un plaisir. Annie et Vincent ne s’en sont pas privés, de se plonger dans ces nuages célestes. Alibireo, Vega, seront aussi admirées. Je montre Almach ma trouvaille récente, ce groupe de 3 binaires dans Andromède. Tout comme je ne manque pas d’attirer l’attention sur la très belle double 52 Cyg lors de la visite des Dentelles. Plus tard ce sera Aldébaran, puis Alpha Orionis, Betelgeuse « l’épaule du géant ». Les étoiles en pleine montagne, ou comme prendre le pouls du ciel.

Les nébuleuses planétaires.
Vous imaginez bien que nous avons rendu visite à quelques-uns des cœurs brisés du cosmos. Il y a les classiques M27 et M57, magnifiés par le ciel. La bleutée M57 montrait avec délicatesse une couronne presque translucide, le cœur sombre nous laissait par instant entrevoir le cœur brisé qu’il renferme. Et puis Vincent m’appelle et me demande :
– J’ai trouvé quelque chose là (en pointant en direction du Cygne, mais je ne sais pas ce que c’est.
– Attends je regarde. Hum, ça me dit quelque chose. Tu as pointé par où ?
– A droite de ces trois étoiles.
– Ces trois là ? mais… c’est la Flèche ça. On la reconnaît mal parce qu’elle est verticale dans le ciel, mais oui c’est la Flèche !
– …
– Donc, ton truc c’est… M27 !
– Ah, je ne la reconnaissais pas. Faut dire qu’en plus je ne la vois jamais comme ça chez moi…

Ne riez pas. J’en connais plus d’un qui s’est perdu dans un ciel de montagne !

Je montrerai ensuite à mes camarades quelques autres de ces belles : NGC7662, la Boule de Neige, magnifique sur ce tapis de diamants. Et puis Saturn, NGC7009, un peu empattée dans la brume qui envahit l’horizon sud, mais montrant bien sa forme. Et enfin, NGC7008, cette petite merveille qui loge dans une trouée obscure de la Voie Lactée, entre Alderamin et Deneb : la nébuleuse du Fœtus, une petite merveille cette nuit. Outre la belle double sur laquelle semble reposer la bulle, on croyait voir le fœtus dans cette enveloppe translucide!

Jupiter.
Et puis, depuis le temps qu’elle nous appelait, nous allâmes voir Jupiter. Vincent la trouvait très belle au T114. Je visais donc la belle : ouch ! ça décolle la rétine ce truc euh… cet objet !

Il faut reconnaître, qu’une fois la rétine acclimatée, elle est magnifique à 122x (Jupiter, pas la rétine, on suit là hein !?). Image très propre, très stable. Je passe au 9mm (176x) toujours pareil ! Les détails de la surface sont incroyables : des petits liserés en bordure de la calotte nord, comme de la broderie ; et puis, dans la grande bande il semble y avoir pas mal de choses aussi. Allez, on passe au 7mm (226x), puis la barlow (powermate 2.5x) entre en scène :

– 13mm+powermate (305x)
– 9mm+powermate (440x)
– 7mm+powermate (566x)

Je n’en reviens pas, l’image ne bouge toujours pas. Grâce à la Powermate qui conserve le champ de 82°, le suivi n’est pas trop difficile. A 566x, je peux détailler la bande sombre : une petite tache claire et ronde, puis deux autres noires un peu plus loin, puis comme des protubérances s’échappant vers le bas du disque. Ah, si je savais dessiner !

Je peux affirmer que je n’ai jamais vu Jupiter comme ça… Et puis Vincent lance : « on pourrait essayer mon 5,2mm ? » Bah, oui pourquoi pas ! Avec la Powermate, cela fait du 762x !!! Et bien mes amis, l’image était largement correcte. Certes, ça commençait à bouger un peu, la mise au point devenait délicate, mais le plaisir était là. Le disque, énorme, devait mettre 10-15s pour traverser le champ de l’oculaire. Après quelques tâtonnements, j’arrivais néanmoins à faire en sorte que Jupiter reste au centre, ma main sur le tube compensait tout juste le déplacement. Bon, on ne tient pas des heures comme ça!

Je repasse à 566x et admire la surface encore de longues minutes, à m’en griller la vision nocturne. Pas trop grave, la nuit touchait à sa fin. Quel spectacle !

Les nébuleuses.
Elles furent omniprésentes, tout au long de la nuit. Au début, c’était dans le Sagittaire, avant qu’il ne se couche. Vous connaissez les vedettes du coin : Omega (alias Le Cygne), La Trifide, La Lagune. Magnifiques toutes les trois. Vincent se régale de leur vision dans son T114. Je lui passe mon filtre OIII, il apprécie son effet ! Annie qui a observé M17 plusieurs fois cet été, et sous différentes latitudes, fait des comparaisons. Son coup de cœur est toujours celle vue dans la noirceur du Berry. Elle était magnifique il est vrai, mais je trouve celle d’hier soir pas mal du tout. Le filtre passe d’un télescope à l’autre, les comparaisons vont bon train, le plaisir est en tout cas dans tous les yeux.

En milieu de nuit, ce furent les dentelles : petite, grande, et le Triangle de Pickering. Vincent doutait de les voir dans son T114. Je lui disais qu’il les verrait, et même très bien grâce au champ de son tube. Et lorsqu’il vit la Petite Dentelle, il n’en croyait pas ses yeux ! Et lorsqu’il passa l’OIII il était en extase ! Il a dû répéter une dizaine de fois : « j’ai vu les Dentelles dans mon T114 ! » A ce moment, je lui ai bien parlé de la double 52 Cyg, mais je crois qu’il ne m’a pas entendu. Et puis je lui expliquais comment trouver le triangle, et la grande dentelle. A ce moment, tout le monde convergea vers son tube, c’était vraiment très beau ! (petit clin d’œil aux possesseurs de T114, trouvez-vous un vrai ciel, vous serez comblés !). Dans le T300, on pouvait admirer la finesse de la structure, mais pas ce qu’on voyait dans le tube de Vincent.

Ensuite, ce fut la nébuleuse du Croissant, NGC6888, moyenne hier soir, mais toutefois complète avec le filtre OIII.

Vint alors le moment où le Taureau sortit de derrière la montagne. J’attendais que M1 soit visible pour une première vision dans le T300. Elle était bien très basse, mais je la voyais finalement. Curieusement, mieux sans filtre qu’avec ?? Mais elle n’était pas (encore) très belle.

Et puis, et puis, vint le moment que nous attendions tous (sauf Annie qui dormait dans la voiture). Vous savez ce que je veux dire, non ? Allez, on révise son ciel : après le Taureau, qu’est-ce qui est sorti de derrière la montagne ? Ben oui, le guerrier Orion ! C’est d’ailleurs marrant car on a d’abord vu son arc, dans son intégralité. Comme disait Daniel : « y’a tant d’étoiles dans l’arc ?? » Ben oui, on voyait les 8 étoiles sans forcer. Après l’arc, c’est Bellatrix qui se montra, puis Betelgeuse et la Ceinture.

Et puis, soudain une étrange lueur derrière la crête. Vincent dit en riant : « on dirait que le Lune va se lever ». Et c’était vrai, cette lueur ressemblait à celle de la Lune montante. Mais nous savions tous ce que c’était. Alors je positionne le T300 sur cette lueur. Dans l’oculaire je vois la montagne découpée à l’envers, et cette lueur blanche au-dessus. Les minutes passent, les chose se précisent, et puis tout à coup, la tête de l’oiseau, et puis ses ailes, ça y est ! La nébuleuse d’Orion prend son envol. Instant magique, émotion, on parle moins, on se succède au 13mm : les mots manquent, et puis cette entrée en scène…

Vincent va la pointer avec son tube, je lui parle du Trapèze, il voit les quatre étoiles, et un peu plus tard une cinquième. Sa joie fait plaisir. Je continue de suivre l’envol de M42, majestueuse. Et là j’entends derrière moi, la voix de Vincent qui dit : « La tête de Cheval on peut la voir au 300 ? » Je rigole et lui dit, j’ai déjà été voir, mais on ne voit que trop peu la nébuleuse autour d’Alnitak. Donnez un trésor à un astronome, il en demandera un autre !!!

Il est plus de 3h. La fatigue accumulée cette semaine me rattrape en une seconde. De toute façon, la vison d’Orion est une belle fin non ? Je décide de plier. Pendant que je fais des allers-retours, Vincent et Daniel s’affairent toujours sur M42. Lors d’un de mes passages, Vincent me dit : « oui, je ne vois pas la nébulosité autour d’Alnitak ». Insatiable je vous dis ! Et puis, quelques instants plus tard, le même Vincent : « Bon, je vais re-pointer les dentelles, moi ! » Insatiable je vous dis. Ces ciels là rendent fou !

Sur le chemin du retour, Orion sera tout le long en face de nous, à travers le pare-brise, comme si elle voulait nous dire : « hé, ‘suis là ! ».

Voilà le récit de cette nuit. J’espère vous en avoir fait sentir toute l’émotion et le plaisir. Et merci de nous avoir suivis !

jp