La promesse de l’aube

Lulin_TEC_18

23 janvier 2012.

En cette nuit de Nouvelle Lune, le ciel est au rendez-vous. La Voie Lactée griffe le ciel comme lors d’une belle soirée d’été; il fait d’ailleurs bien doux en cette fin janvier! Je suis heureux d’être sous les étoiles, et encore plus ce soir car je suis accompagné. J’observe le plus souvent seul, mais il est des compagnies qui transcendent le plaisir, qui rendent l’instant exceptionnel.

Mon compagnon est une vieille connaissance, bien plus encore, et aussi mon maitre en terme d’Astronomie. Les circonstances de la vie nous empêchent de nous voir plus souvent, mais il n’est pas un objet dans le ciel qui ne me rappelle une nuit, une discussion, un regard, un instant partagé. Il faut dire que les discussions nocturnes sont intenses car silencieuses, profondes car intemporelles, touchantes car pleines d’émotion.

J’ai affaire à un spécialiste, inutile d’essayer de le surprendre, de l’épater. Je veux simplement me promener avec lui dans le ciel, je sais que chaque objet sera l’occasion de regards qui brillent, de sourires entendus, de plaisirs dont la rosée perle au coin des yeux. Je sens son oeil amusé me voir déplacer cette étrange machine, ce tube sans repères, sans cercles, sans coordonnées; et lorsque je m’arrête sur Orion, une tape sur l’épaule me dit qu’il aime cette simplicité. M42 est un beau commencement, l’oiseau majesteux, paré de rouge et de vert, plane. La turbulence fait trembler le trapèze, mais le spectacle nous rappelle ces nuits d’hiver où le Mistral ne parvenait pas à nous décourager de prolonger ces instants, où nos mains gelées ne sentaient pas le froid. L’oeil à l’oculaire nous survolons IC 434 dans les parages de la Tête de Cheval. Le silence me parait toujours plus profond à cet endroit. Et c’est bien, car j’entends alors nos pas sur les marches métalliques de l’observatoire.

Je redresse le tube et nous voià dans les Gemeaux. En un instant je suis sur la nébuleuse planétaire de l’Esquimau (NGC 2392). Elle ne montre pas beaucoup de détails ce soir. Nos regards se croisent lorsque j’enlève mon oeil de l’oculaire. Le sien brille, je crois y lire un peu de fierté de me voir si à l’aise dans le ciel. En direction de Castor et Pollux, j’arrête le tube sur NGC 2371-2, une nébuleuse planétaire “double” en quelque sorte. Elle est assez brillante, et l’on voit nettement les deux lobes blancs, à défaut de centrale. Mon compagnon apprécie cette vision presque “galactique”. Puis, nous passons voir ce duo si attachant: M35 et NGC 2158. Il nous rappelle une nuit de fin d’été, non loin de la vallée des Merveilles. Ce soir là, pour tester un miroir non encore alluminé, nous avions écumé les amas d’étoiles. Le miroir était bon, et le plaisir grand. Nous y repensons en même temps, pas la peine de finir nos phrases.

Il semble donc naturel de passer voir les amas ouverts du Bouvier tout proche. M36, puis M37 dont la centrale orangée est toujours une merveille. Et puis NGC 1893, pour finir par la Flaming Star Nebula, un peu éteinte ce soir mais que le filtre OIII nous montre quand même.

La Licorne est basse mais je veux montrer NGC 2301, cet amas unique, en forme de “T”. Je remarque du coin de l’oeil un petit sourire admirateur sur les lèvres de mon maitre. Et puis, il déplace le tube vers le nord, pas très loin, pour se poser sur la Rosette que l’on voit si bien dans le ciel. Et je sais pourquoi il veut m’emmener par là. Il y a bien longtemps, une nuit de printemps, en attendant une comète, la plus belle qui me fut donné de voir à ce jour, il m’avait montré cette nébuleuse pour la première fois. Les souvenirs se bousculent dans nos têtes, et nous sommes bien d’accord: quelle merveille de Comète!

Avant que le ciel ne s’éclaire à nouveau (il est bientôt 5h), je veux que nous observions ensemble quelques galaxies. La Grande Ourse est toute indiquée: M81 et M82 sont belles sans être exceptionnelles, puis le couple M108-M97 nous rappelle cette nuit où je découvrais les galaxies (et cette nébuleuse planétaire) pour la première fois. “Tu ne vois pas parce que tu regardes trop vite”, nous rions de bon coeur.

Pour finir, nous passons un court moment dans les Chiens de Chasse: M51 nous montre le pont de matière et ses deux grands bras, puis M106 nous cache son escorte, le ciel est trop clair. Alors je me souviens de l’autre passion (en dehors des galaxies) de mon invité pour les étoiles doubles, et pointe sans hésiter Cor Caroli. Il observe le couple, sa main posée sur mon épaule, je sais ce qu’il voit, et ce qu’il ressent; je n’ai pas besoin de regarder dans l’oculaire, je lève simplement la tête vers le ciel, en souriant.

L’aube s’approche, nous allons rentrer. Je me pose une question à propos de la petite nébuleuse planétaire Jonckheere 900 que j’ai essayé en vain de voir. “Il faut grossir au minimum 300x”. Il faudra que je m’en souvienne.

C’était une nuit spéciale, en bonne compagnie, un moment rare. Je me fais la promesse de recommencer.

jp

Photo: Comète C/2007 N3 (Lulin) par Johannes Schedler, Visitez son site http://panther-observatory.com/