Nausée

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Tout commence par une belle lumière, une atmosphère paisible, un matin d’été. L’air est doux.  Je sors de l’hôtel et me dirige vers un parc dont les grands arbres, probablement centenaires, m’attirent. Dessous, tout semble calme, à sa place. J’avance d’un pas lent, j’ai déjà oublié la ville. Sur un côté du parc, en lisière, une lueur blanche m’attire; je me dirige vers elle. En m’approchant, je devine un imposant bâtiment. Bientôt, je quitte l’obscurité des arbres pour me retrouver devant l’édifice. Quelques pas de plus, et je comprends ce que je voyais: une verrière blanche illuminée par les rayons du soleil matinal contraste avec les murs noirs de la bâtisse.  J’aime cette lumière diaphane qui enveloppe l’ensemble. Sans elle, je n’aurais sans doute pas remarqué le lieu.

Je promène mon regard sur l’ensemble. Sur la droite, des gerbes de fleurs semblent posées sur les escaliers. Je m’approche, ce sont bien des gerbes commémoratives. Je lève la tête: sur le mur, juste au-dessus des fleurs, une petite plaque avec une inscription; et surtout une date: 10 juillet 1940.

Je reste stupéfait. Le 10 juillet 1940 ? Je connais cette date, mais si je devais en dire quelque chose ce serait plutôt que ce jour-là 569 parlementaires français ont mis fin à la IIIe République en votant les pleins pouvoirs à un Maréchal… Un petit nombre s’y opposèrent, il est vrai.

Je retourne sous les arbres, et continue ma promenade. Le chemin longe une petite rue, elle-même bordée par une longue façade d’immeubles contigus. Le moins que l’on puisse dire est que le quartier est calme. Peu de promeneurs, encore moins de voitures. Un quartier résidentiel sans doute, me dis-je.  Et puis soudain, sur la façade blanche, une inscription au-dessus d’une entrée: “Le Parc”.

J’avance devant la porte vitrée: quelques marches traversent un vestibule sombre, jusqu’à une autre porte vitrée. Je remarque les poignées en cuivre dont l’éclat tranche avec l’obscurité. Je recule dans la rue pour regarder à nouveau la façade. Je crois bien que c’est ici, mais je n’en suis pas sûr.

Et puis, un peu plus loin à l’ombre des arbres du parc, presque en face de l’entrée “du Parc”, une pierre noire. J’avance vers elle, la contourne, et lui fait face. En arrière plan, je vois la façade blanche de l’immeuble “Le Parc”.

Et je lis: “Le 26 août 1942, le gouvernement de l’Etat Français, installé dans cet immeuble à Vichy, a déclenché sur tout le territoire de la zone libre, une gigantesque rafle de Juifs étrangers. Plus de 6 500 d’entre eux, dont des centaines d’enfants, ont été arrêtés ce jour là et livrés aux nazis en zone occupée, d’où ils ont été aussitôt déportés vers le camp d’extermination d’Auschwitz. Au total ce fut le sort de plus de 10 000 juifs étrangers vivant en zone libre. (…) N’oublions jamais.

C’est donc bien ici, derrière ces fenêtres, au premier étage de ce qui s’appelait alors: “L’Hôtel du Parc”. J’ai la gorge serrée. Il fait soudainement lourd. Après quelques minutes, je quitte le lieu et poursuis ma promenade dans le parc. Il me parait encore plus sombre qu’avant. Je marche sans trop regarder ce qui m’entoure, les yeux rivés sur la lumière là-bas, au-delà des arbres, au bout du tunnel, au bout du bout, au bout du cauchemar. J’ai la nausée.

jp