Le quintet du Restefond

Lorsque je quitte ma montagne pour rejoindre le col de Restefond en ce 7 juillet après midi, j’ai un peu l’impression de partir en vacances : le temps est estival, ça sent bon les foins dans les alpages, et puis les pentes du Restefond ressemblent à celles du Galibier, celles de mes vacances d’enfant. Je suis aussi heureux d’aller si haut car je vais y rencontrer quelques-uns des astronomes de la région, pour la première fois. Nous serons cinq, comme le Quintet de Stephan!

Tout d’abord, le maître des lieux : Bernard; il habite au pied du col, et ne sait probablement pas lui-même combien de nuits il y a passé. Et puis trois citadins, habitants de la côte d’azur : Gérald, Drakkh, et Vincent. Tout comme Bernard, je suis heureux de les accueillir dans nos montagnes, et j’espère que le ciel sera au rendez-vous.

Justement, côté ciel, pas de certitudes. Quand je passe les premiers lacets,  de gros cumulus encombrent le ciel…

La montée vers le col est agréable, on rencontre vite les premiers névés, et surtout les marmottes, maitresses des lieux. J’ai voulu compter combien j’en voyais sur le bord de la route, mais lorsque j’en suis arrivé à 19 ou 20, je ne sais plus, j’ai arrêté de compter !  Elles sont partout sur le bord de la route qu’elles traversent en sifflant. Et si je ralentis pour les admirer, elles semblent me regarder, moi l’intrus, avec indifférence.

Arrivé au col (2650m), je poursuis par la petite route qui monte à la Cime de la Bonnette (2802m) subterfuge de l’administration locale pour mériter un temps le titre de « route la plus haute d’Europe ». Pour rejoindre le point de rendez-vous, il faut redescendre en contrebas du col sur l’autre versant, celui qui mène à Barcelonnette.

Le rendez-vous se situe à hauteur du Fort du Restefond, à une altitude d’environ 2500m. Je suis le premier sur les lieux, et je constate avec bonheur que le ciel se dégage de plus en plus.

Bernard me rejoint vite, puis Drakkh. Nous décidons de nous installer au-dessus du Fort, dans une petite carrière qui présente le double avantage d’être protégée de la route, et d’offrir aussi un spot où les téléphones portables peuvent fonctionner  (pratique pour prévenir Vincent de notre emplacement!)

Nous commençons à installer le matériel. Bernard a emmené deux dobsons de sa fabrication, un 300 et un 400! Drakkh est lui venu avec son 150mm, et espère imager un peu. Quant à moi j’ai bien sûr sorti mon tout nouveau Orion Optics de 300mm !

Collimation, et autres préparatifs, nous font patienter jusqu’à l’arrivée de Gérald accompagnée de sa charmante épouse. Il est lui aussi venu avec sa panoplie d’imageur: un beau C9 et tout ce qui va avec. Je dois noter que le Dobson OO 300mm est le plus vite mis en place !  Nous voilà presque au complet. Vincent doit nous rejoindre un peu plus tard, il arrivera juste lorsque nous commencerons à observer, et installera son SW 114mm dans la quasi obscurité.

Pendant que nous mangeons un peu, le ciel s’est couvert… Les nuages semblent néanmoins peu agressifs. Oui, mais au bout d’un moment, des questions se posent…  Tiens, une voiture approche, ce doit être Vincent. Ah, ben non. Il s’agit d’un drômois qui vient un peu voir qui est là sur des terres qu’il semble bien connaître. En effet c’est un autre imageur qui vient souvent par ici. Ce soir il est venu avec un objectif bien précis : la nébuleuse de la Patte de Chat, dans le Scorpion. Il va s’installer un peu plus loin pour ne pas nous gêner, sympa ! Bonne idée aussi car il a deux écrans dont un assez imposant. º_º

Le repas se termine, le ciel est toujours assez bouché, lorsque… Vénus fait son entrée en scène !  Et puis, Mars et Saturne.  Les trois planètes sont alignées au dessus d’un gros nuage un peu noir, mais sur un morceau de ciel bleu. Ce sera un bon présage. Le soleil se couche, magnifique spectacle, et puis en quelques minutes, la totalité du ciel se dégage. Les sourires sont de sortie ! La nuit s’annonce sous les meilleurs auspices. 🙂

Les trois sœurs

Puisqu’elles nous ont apporté le beau temps, nous commencerons par rendre visite à l’alignement des trois planètes. De gauche à droite : Saturne, Mars et Vénus.

Je commence par Vénus, qui offre une bien belle phase. La turbulence semble faible. Un passage rapide sur Mars qui nous a quittés depuis quelque temps, et tout le monde se rue sur Saturne. Bernard lâchera le premier commentaire : la vache ! quelle image ! et je suis à 800x !

Tous les regards se portent vers le 400mm, car c’est de lui dont il s’agit.

Un cercle se forme autour du Dobson, et grâce à sa table équatoriale, nous pouvons chacun admirer la belle Saturne. Elle est effectivement d’une stabilité incroyable à ce grossissement. Je compare ce que je vois dans mon 300mm, mais l’image est beaucoup moins stable, sans doute pas encore en température à cause de mon tube plein. Un essai de plus fort grossissement sera effectué mais c’est à 800x que l’image est la plus belle. Nos imageurs se précipitent sur leurs engins. Mauvaise nouvelle pour Drakkh qui n’arrive pas à fixer sa webcam à cause d’un tube qu’il n’arrive pas à desserrer (enfin, si j’ai bien compris…). Le voilà réduit à faire du visuel ! la suite dira qu’il ne le regrettera pas 😉 Après une tentative infructueuse de monter la dite webcam sur le dobson 400, Gérald tirera, lui, le portrait de la belle !

Le ciel du Restefond!

La nuit est maintenant tombée, et le célèbre ciel du Restefond est au rendez-vous! On a peine à reconnaitre les constellations, la Voie Lactée illumine le paysage, l’oeil nu se régale du spectacle.

Début du Festival

A partir de ce moment là, je dois dire que je me suis senti pris d’une sorte de fièvre. Certes, des ciels comme ça j’en avais déjà vu (en quittant un refuge en pleine nuit lors d’une course en haute montagne par exemple)  mais jamais avec un télescope à portée de main. Alors, tout ce que j’avais prévu de faire, et de voir, et bien je l’ai oublié ! Je me suis senti comme un chien fou, sautant d’une chose à l’autre, et s’excitant un peu plus au fil des observations. Et j’ai bien comme l’impression que je n’étais pas le seul ! Bernard a joué les chefs d’orchestre, choisissant les objets les plus magiques (des messiers pour la plupart), les plus beaux, les plus surprenants. On a fait des comparaisons 400-300 et aussi avec le 114 de Vincent ; ne riez pas, il était tout surpris, et fier, de ce qu’il en tirait hier soir ! Doit-on le redire ici ? Le ciel, tout est dans le ciel !

Alors, soyez indulgent, j’ai la tête encore pleine de toutes ces images vues il y a quelques heures, impossible de toutes les décrire, mais je vais vous parler de celles qui m’ont marqué le plus. Et puis mes camarades en ajouteront sûrement d’autres, et au final vous aurez une idée de ce qu’a été notre nuit. Le plus dur va être de ne pas se répéter, de trouver d’autres qualificatifs  que « merveilleux », ou « magnifique ».

Les premiers objets visés se trouvaient dans le triangle d’été (Véga-Deneb, Altaïr) :
M57 : une image magnifique dans mon 300mm, un centre bleu marine, et une centrale aperçue en vision décallée
M27 : elle flottait sur un tapis de million d’étoiles, la centrale visible au 300mm. Au 400mm la structure de l’haltère était d’une incroyable finesse, comme un tissu brodé.
– Dans le Cygne, les Dentelles (Petites, Grandes, et Triangle de Pickering) étaient splendides avec l’aide d’un filtre OIII. Bernard disait : on comprend pourquoi on les appelle « dentelles » ! Un premier regard en grand champ, puis des grossissements sur les structures montraient toute la finesse des dentelles (surtout au 400).
– Et puis la nébuleuse du Croissant, que je n’avais jamais réussi à bien voir au 200, était fabuleuse au 300. Même le prolongement central était évident en vision directe.

L’amas d’Hercule a bien sûr été de la fête. Et là je dois dire que le 300 et le 400 étaient très proches. Bernard m’a même dit : il est bon ton 300 !  Et puis, je n’avais si jamais bien vu la petite galaxie voisine,NGC6207, une belle petite spirale, bien enroulée autour d’un noyau bien brillant !

Mais que dire de M51 !!! Alors là c’est simple, c’est comme si je ne l’avais jamais vue auparavant. Les bras en vision directe, comme le pont de matière : j’avais en mémoire des dessins faits au 600. Une splendeur.

Je n’oublie pas le petit amas globulaire de la Flèche (M71) dont je résolvais le cœur en partie.

Et puis la galaxie de l’Aiguille (4565) si belle et si détaillée, ni les entrelacements de la planétaire de l’œil de Chat, ni M17, magnifique cygne, qui, dans le 400, m’a vraiment rappelé un dessin de Bruno au 495 !

Et le duo M81/82, la Trifide, NGC7009 (aka Saturne),  ah… j’en frémi de bonheur 🙂

Entracte

Et puis tout d’un coup, peu après 2h, les nuages refont surface ! Par le sud tout d’abord, puis l’est, et le reste suivra rapidement. Dès que la Voie Lactée fut cachée, la nuit devint d’un noir profond, intense, preuve s’il en est qu’elle nous éclairait jusqu’alors. Après un peu d’attente, nous décidâmes de prendre un peu de repos. En espérant se préparer pour le final.

Final

Sur le coup de 4h, les nuages nous laissèrent quelques brèches dans le ciel. Juste assez pour Jupiter et la Lune. Jupiter était, comme Saturne la veille, d’une belle stabilité. Au 300, la large bande équatoriale, et les plus petites justes au-dessus, ainsi que les pôles, étaient bien visibles à 300x. Quatre satellites bien alignés l’encadraient (3 d’un côté, un des l’autre). Une bien belle Jupiter.

Enfin, pour clôturer le spectacle, vers 4h30 un merveilleux petit croissant de Lune se lève au milieu d’un halo qui adoucissait son image. A 200x, la lumière rasante sur le terminateur était sublime. Même la Lune s’était mise au diapason.

C’est sur cette image que notre nuit se termine.  Drakkh et Vincent nous quittent vers 6h pour aller travailler (!), la tête pleine d’images merveilleuses.  Alors que les trois heureux vacanciers finissent cette belle nuit devant un café chez Bernard, à StEtienne-de-Tinée.

Quelle nuit mes amis ! Je vous en souhaite d’aussi belles.