Rencontre sous les étoiles

Toute la semaine j’ai voulu me lever vers les 2-3h du matin pour échapper à la lueur de la Lune et me plonger dans un ciel magnifique. Mais il est des jours où l’on ne fait que ce que l’on peut, où le corps ne suit pas toujours l’esprit. La fatigue, et une bronchite, ont anéanti ma volonté.

Pourtant, lorsque la migraine était trop forte, au petit matin, généralement vers 5h, et qu’il me fallait prendre une rasade de paracétamol, je ne manquais pas de regarder ce ciel par la fenêtre de la cuisine, identifiant les constellations, et imaginant pour un instant, pour un instant seulement, qu’il me suffirait de sortir le télescope et puis de…

Jeudi, la migraine me réveillait toujours mais je sentais les forces revenir. Et puis, un peu d’air frais ne peut pas faire de mal, enfin pas plus. Je passe un pantalon, une polaire, un bonnet, et me voilà sur la terrasse, les jumelles à la main, orientation sud-ouest. Je m’assois sur l’un des fauteuils de jardin ressortis le week-end dernier, signe définitif de fonte des neiges. Le ciel est lumineux, j’aime ces réveils étoilés. La Couronne Boréale me fait un grand sourire, je le lui rends bien volontiers. La Chevelure de Bérénice ressemble à un accent circonflexe. Le Bouvier et son rubis Arcturus me fait comme toujours penser à une coiffe, un turban, plutôt qu’à un berger. Juste au-dessus, Hercule semble danser. Je rends visite au maitre des lieux, cette concentration naturelle d’énergie, ces centaines de milliers d’étoiles, un des plus vieux objets qu’il nous soit donné d’observer.

Comme je baisse les yeux pour aller saluer le Scorpion qui se lève, je sens que l’on m’observe. Droit devant moi, à quelques trente mètres, une tête se détache sur les névés qui entourent la maison. Il est 5h30. Le jour s’annonce, on commence à apercevoir le paysage, surtout en contraste avec la neige qui s’attarde. Les oreilles face à moi, le museau dans ma direction, je l’ai reconnue. C’est une femelle chevreuil, qui passe souvent par ici au petit matin. Je ne bouge plus, j’essaye même de ne pas respirer. De longues secondes s’écoulent. Elle ne bouge pas d’un millimètre. Et puis… elle baisse la tête et broute les quelques brins d’herbe que la neige a bien voulu laisser pousser. Je souris. Elle accepte ma présence. Soudain, sur ma droite, un craquement, comme une brindille dans le feu. Une autre tête jaillit sur le chemin juste en bas de chez moi. Celle-là porte de petites cornes. Il escalade le talus, et le voilà debout, le regard dans ma direction. Il est encore plus près, à 10-15 mètres de moi. Je continue de jouer les végétaux. Je veux jouir de ce moment le plus longtemps possible.

Une éternité plus tard, il tourne la tête vers sa compagne, et la regarde longuement. Et puis, d’un commun accord, ils se mettent en marche, lentement, dans la même direction, et s’éloignent. Lui d’abord comme pour donner le signal, et puis elle. Bientôt je ne vois que leurs croupes disparaitre avec souplesse et élégance dans les bois. Je reste là, inondé de bonheur. Partager un ciel étoilé avec un couple de chevreuils!

Le lendemain matin, 5h15, me revoilà. Même lieu. Le ciel m’a encore fait sortir, mais au fond de moi, une rencontre m’obsède. Hier, ça n’était ma première rencontre avec ce couple, ils passent souvent par ici vers ces heures, mais j’ai eu l ‘impression que nous nous reconnaissions et, qui sait, qu’ils appréciaient ma contemplation. Une sorte de communion sous la voûte céleste. Ce matin, je n’en espère pas autant. Peut-être juste les apercevoir ? Et puis, un névé attire mon oeil. Quelque chose bouge dessus. Je mets un moment à réaliser: un jeune chevreuil (dit-on un faon?) a du mal à tenir ses pattes verticales sur la neige. Je n’en crois pas mes yeux. Il est à une trentaine de mètres! Occupé comme il le semble, j’ose porter les jumelles à mes yeux: je le vois maintenant clairement, ce petit corps porté par des pattes immenses. Je n’en reviens toujours pas. Mais où sont les parents ? Je scrute les environs, dans la pénombre environnante. Je ne vois rien. En revenant vers le névé, je n’aperçois qu’un corps qui disparait, et puis des bruits de galop, plus bas dans le bois. Ils l’ont appelé, ils s’en sont allés, tous les trois, me laissant là sous le ciel qui s’éteint… Et s’ils avaient voulu me présenter leur progéniture ?

jp

Photo: Un autre jour, plus tard, une femelle (probablement la même) exactement dans la même position, même lieu.