Un rythme intérieur

 

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La poésie est un rythme intérieur, une lumière, une pause. Laissez-vous porter par quelques-unes de mes lectures ou re-lectures récentes:

 

L’homme et la mer

Homme libre, toujours tu chériras la mer!
La mer est ton miroir, tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais a plonger au sein de ton image;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets;
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes;
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, O frères implacables!

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal

 

Chant d’amour

Comment retiendrai-je mon âme, pour
qu’elle n’effleure pas la tienne ? Comment ferai-je
pour l’élever au-dessus de toi, la diriger ailleurs ?
Hélas, je voudrais bien la mettre à l’abri
je ne sais où, près d’une chose perdue dans l’ombre,
à une place silencieuse loin d’ici qui ne
prolonge pas l’écho de tes profondeurs, quand elles vibrent.
Mais tout ce qui nous touche, toi et moi,
nous réunit comme le fait un coup d’archet
qui de deux cordes tire une voix.
Sur quel instrument sommes-nous donc tendus ?
Et quel violoniste nous tient-il dans sa main ?
Ô chant suave.

Rainer Maria Rilke, Chant éloigné
(traduit de l’allemand par Jean-Yves Masson)

 

Le Dormeur du val

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent; où le soleil de la montagne fière,
Luit: c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pale dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.

Les parfums ne font plus frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au coté droit.

Arthur Rimbaud, Poésies

 

jp

Photo de Joel Pinson, 2006